Publié : 27/08/2022, mis à jour: 27/08/2022 à 16:00
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Chloé démultipliée

Station Belleville, une placette qui gémit sous le martèlement continu des sandales, baskets et mocassins, tandis que de jeunes rats fraîchement sevrés se faufilent...

Nagumo-Chloé démultipliée

Crédits photographiques : Nagumo.

Nagumo

Station Belleville. Une placette qui gémit sous le martèlement continu des sandales, baskets et mocassins, tandis que de jeunes rats fraîchement sevrés se faufilent entre les Doc Martens des néo-urbains accrochés à leur smartphone comme des veaux à leur mère.
Dans le flou caniculaire de cette foule, se détache bientôt la silhouette d’une jeune femme, la trentaine, petite, dynamique, qui trotte vers le métro, y descend, longe un dédale de couloirs malodorants aux carreaux de faïence blanchâtres, avant de se glisser furtivement derrière une semblable, au passage de l’octroi. Quelques mètres plus loin, comme sorti de sa boîte, surgit un contrôleur en costume, suivi d’un autre en civil. Surprise, incompréhension, peur. Tant de sentiments surjoués défilent en un éclair sur le visage de la fausse ingénue, incapable de présenter le moindre titre de transport. L’homme lui reformule sa demande avec moult gestes à l’appui tout en écarquillant les yeux face à celle qui fait l’innocente et finit par plonger la main dans son sac, à la recherche d’un hypothétique ticket. Énervement manifeste du contrôleur sous les yeux narquois du deuxième. C’est cet instant précis que choisit la jeune fraudeuse pour tourner joyeusement sur ses talons et s’engouffrer dans le sas de sortie. Les deux hommes restent sur place, tétanisés par cette prise de tangente inopinée.

 

Ce mercredi après-midi, Chloé n’en peut plus de cette chaleur lourde et gluante qui crispe sa peau, amplifie les klaxons et les cris des vendeurs à la sauvette. C’est décidé, elle prendra le métro, quitte à frauder. Sûre de son fait, elle saisit la première occasion et emprunte avec élégance le tourniquet d’une autre. Mauvaise pioche. Elle vient de repérer du coin de l’œil les deux contrôleurs en embuscade et laisse échapper un soupir d’exaspération, qu’elle stoppe net pour composer le visage de la parfaite candide, touriste égarée dans une ville étrangère.
Derrière son abri de fortune, Max, qui a repéré le manège de la jeune femme, se dit qu’il pourrait la laisser filer, mais son collègue, au profil de vieux briscard, le pousse du coude : « Allez, c’est pour toi ! ». Mal à l’aise, Max finit par aborder la jeune femme et lui demander son titre de transport d’une voix bien trop haut perchée à son goût. Tout en exagérant le trait et en haussant progressivement le ton, il trouve qu’elle imite bien la touriste paumée, se plaît à étudier son visage, ses sourcils fournis, ses lèvres dépitées, quand soudain, plus rien. Envolée !
Dans la rue de Belleville, Chloé court à perdre haleine. On ne l’y reprendra plus !

 

Chloé a chaud, respire mal, sa tête cogne dans tous les sens. Elle doit être à 15 heures à ce rendez-vous professionnel, une aubaine pour elle, mais elle voit bien qu’elle n’y arrivera pas. En désespoir de cause, elle se décide à faire ce qu’elle n’avait pas fait depuis son adolescence, prendre le métro sans ticket. Et tant qu’à faire, pourquoi ne pas goûter de nouveau à ce plaisir illicite, éprouver ce tressaillement glacé qui noue le ventre et grimpe le long de la nuque ? Elle descend les escaliers, observe les passants, repère cette femme aussi mince qu’elle et se glisse dans l’interstice de son tourniquet. Mauvais calcul ! Dans l’encoignure du mur, Max, un contrôleur stagiaire, l’a vue. Dans son regard, flotte une indécision et, avec elle, la lueur d’une échappatoire, mais son collègue plus âgé l’a également repérée. Lui, c’est un vieux de la vieille qui se complaît dans ce métier détestable. Les deux personnages entrent en contact : Max tentant de jouer son rôle de contrôleur strict et professionnel, et Chloé, celui de la passante égarée. Les deux se jaugent rapidement, et Chloé entrevoit une possibilité de fuite que semble lui offrir Max. Et si la chance était de son côté ? Hop ! elle tourne sur elle-même, s’élance, bouscule un lycéen en s’engouffrant dans les battants du contrôle d’accès qu’il venait d’ouvrir, laissant sur place un Max soulagé qui comprendra plus tard que ce métier n’est décidément pas fait pour lui.

 

 

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