Publié : 04/03/2023, mis à jour: 15/05/2023 à 19:13
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Domaine arménien

Le fonds arménien constitue, après les fonds arabe, turc et persan, l’une des collections fondatrices de la bibliothèque. Ce riche ensemble d’imprimés témoigne aussi bien de l’ancienneté de l’enseignement de cette langue en France que du dynamisme éditorial de la diaspora arménienne après le génocide de 1915.

Le fantôme arménien

Détail de la couverture du roman graphique Le fantôme arménien, un reportage de Laure Marchand, Guillaume Perrier et Thomas Azuélos ; dessin et couleur de Thomas Azuélos, [Paris], Futuropolis, DL 2015. Collections de la BULAC, 21AM 804.5 MAR.

Issu majoritairement des collections de la Bibliothèque des langues orientales, le domaine arménien est constitué d’un fonds ancien et d’un fonds moderne. Il se compose de plus de 6 600 ouvrages, de 80 titres de revues ayant cessé de paraître et de 11 abonnements en cours. Une part modeste d’ouvrages sur l’Arménie antique provient de la Bibliothèque James-Darmesteter de l'Institut d’études iraniennes (IEI) et de l’université Sorbonne-Nouvelle, ainsi que d’ouvrages en russe, issus de la bibliothèque du Centre d’études slaves (CES) de l’université Paris-Sorbonne. Un vaste chantier de traitement rétrospectif des anciens fichiers papiers arméniens est en cours et dévoile peu à peu la richesse scientifique de ce fonds.

L’arménien est une branche indépendante de la famille des langues indo-européennes. L’arménien classique, attesté depuis la création de son alphabet national au Ve siècle, est la racine historique des deux variantes de l’arménien moderne, que sont l’arménien oriental et l’arménien occidental, formées en parallèle au XIXe siècle sous la domination de deux empires, la Russie à l'est et l'Empire ottoman à l’ouest.

Aujourd'hui, le nombre de locuteurs arméniens est estimé à 8 millions dans le monde. Ce chiffre comprend l’arménien oriental, langue officielle de la République d’Arménie, parlé par environ 3 millions de personnes en Arménie et par 1,5 à 2 millions d’autres locuteurs dans les pays issus de l’ex-URSS et les nouveaux foyers d’immigration arménienne post-soviétique installés en Europe et aux États-Unis. Par ailleurs, l’arménien oriental est la langue historique de la communauté arménienne d'Iran. Ces 8 millions de locuteurs incluent également l’arménien occidental, parlé dans la diaspora par les 2 à 3 millions de descendants de rescapés du génocide des Arméniens.

Constitution du fonds ancien

Grammaire de la langue arménienne

Jacques Chahan de Cirbied, Grammaire de la langue arménienne : ou l'on expose les principes et les règles de la langue, d'après les meilleurs grammairiens, et les auteurs originaux et suivant les usages particuliers de l'idiome hai͏̈kien ; pour les élèves l'école royale et spéciale des langues orientales vivantes, près la bibliothèque du Roi, Paris, L'Imprimerie D'Éverat, 1823. Collections de la BULAC, BIULO MEI.III.547.

L'histoire de la constitution du fonds arménien se mêle à celle de l’enseignement de la langue, ouvert dès 1798, à l’École des langues orientales. Jacques Chahan de Cirbied (1772-1834), premier titulaire de la chaire d’arménien, officiellement nommé en 1811, est le pionnier des études arméniennes en France. Lui succèdent de grands orientalistes français, arménologues, dont on retrouve les traces dans les collections et les registres d’inventaire de la Bibliothèque des langues orientales, tels que Victor Langlois (1829-1869), Auguste Carrière (1838-1902), Édouard Dulaurier (1807-1881) et Antoine Meillet (1866-1936). Jacques Chahan de Cirbied mentionne dans la préface de la première Grammaire de la langue arménienne en français, l’absence à l’époque de tout manuel pour enseigner l’arménien.

Ce fonds reflète la particularité de l’histoire de l'imprimerie arménienne, développée dans un cadre européen depuis la fin du royaume arménien (1375), le peuple arménien étant après cette date privé d’État. Le premier imprimé, publié à Venise en 1512, est l’œuvre d'un clerc arménien. L’importance du livre dans la culture arménienne et les échanges avec la diaspora suscitent naturellement une coopération entre les clercs et la communauté des marchands arméniens. Ces imprimés qui intègrent régulièrement la Bibliothèque des langues orientales jusqu’aux années 1920 sont en majeure partie publiés par le réseau de centres typographiques qui s’est développé à travers l’Europe dans les villes de Venise, Amsterdam, Livourne, Marseille ; ainsi que dans d’autres points du globe où la diaspora arménienne est implantée, de Constantinople à Jérusalem, en passant par Moscou et Madras.

Une sélection de 19 ouvrages remarquables, dont certains sont issus du fonds patrimonial de la BULAC, ont fait l’objet, en 2012, d’une exposition et d'un catalogue1. Toutes les thématiques couvertes par le fonds ancien y sont représentées : textes religieux, histoire classique et moderne, abécédaires, grammaires, poésies, sciences, almanachs, traductions d’œuvres classiques européennes en arménien, etc., y figurent également les auteurs emblématiques du patrimoine intellectuel arménien, tels que : Movses Xorenac̕i, Grigor Marzuanci, Yakop Nalean, Mik̕ayēl Čamčean, Ġazar P'arpec'i, Ġowkas Inč̣ič̣eč̣ an, Aṙak̕ek̕ l vrd. Dawrižec̕i, Schröder, Francesco Rivola ou Ġewond Ališan.

Almanach arménien du XVIIIe siècle

Արքեպիսկոպոս Կոստանդնուպոլսեցւոյ Սարաֆեան, Գրգուկ որ կոչի Էֆիմէրտէ... | Ark̕episkopos Kostandnowpolsec̕woy Sarafean, Grgowk or koči Ēfimērtē... I Venetik, I tparani Antōni Pōrseōli, 1796. Collections de la BULAC, BULAC RES MON 16 1665.

Calendrier religieux arménien du XVIIe siècle

Գիրգ վայելուչ եւ հարկաւոր հանուրց հայկազունեաց բարեսիրաց յորում պարունակի աղիւսակ գրոց տարեկանաց | Girg vayelowč ew harkawor hanowrc̕ haykazowneac̕ baresirac̕ yorowm parownaki aġiwsak groc̕ tarekanac̕. I Marčileay, Tpagrec̕eal i gorçaranowm srboy Ēǰmiaçni ew srboyn Sargsi zōravarin, 1675. Collections de la BULAC, BULAC RES MON 16 1692.

C’est à l'époque de François Ier que les orientalistes français commencent à s’intéresser à l’arménien. L’humaniste Guillaume Postel y consacre un petit chapitre dans son ouvrage, publié en 1538, Linguarum duodecim characteribus differentium alphabetum introductio, ac legendi modus longè facilimus, linguarum nomina sequens proximè pagella offeret. Guillelmi Postelli Barentonii diligentia. Conservé à la BULAC, ce document constitue la première étude linguistique de la langue arménienne. Outre l'intérêt que peuvent susciter alors cette langue et l’histoire de son peuple, la rivalité entre les églises arménienne et romaine éveille la curiosité pour les écrits théologiques, ouvrant ainsi la voie à l’historiographie des chrétiens d’Orient.

D’autres centres de production éditoriale se développent, citons les éditions de Constantinople, qui ont notamment publié le monumental Synaxaire arménien, le chef-d’œuvre de Grigor Marzvanetsi, une des figures les plus remarquables de l'imprimerie arménienne. L’exemplaire conservé à la BULAC, seule édition connue datant de 1733, au format Grand Monde, est un calendrier liturgique des fêtes religieuses qui comprend un recueil de vies des saints, accompagné de nombreuses gravures sur bois.

Synaxaire arménien du XVIIIe siècle

Գրիգոր Մարզուանցի, Գիրք որ կոչի Այսմաւուրք : Որ պարունակէ յինքեան զճառս վարուց սրբոց, և գնահատկութիւնս երանելի մարտիրոսացն, և վկայիցն Քրիստոսի աստուծոյ մերոյ... | Grigor Marzowanc̕i, Girk̕ or koči Aysmawowrk̕ : Or parownakē yink̕ean zč̣aṙs varowc̕ srboc̕, ew gnahatkowt̕iwns eraneli martirosac̕n, ew vkayic̕n K̕ristosi astowçoy meroy... K. Polis, tp. Grigor Marzwowanec̕ow, 1733. Collections de la BULAC, BULAC RES MON Fol 569.

Synaxaire arménien du XVIIIe siècle

Գրիգոր Մարզուանցի, Գիրք որ կոչի Այսմաւուրք : Որ պարունակէ յինքեան զճառս վարուց սրբոց, և գնահատկութիւնս երանելի մարտիրոսացն, և վկայիցն Քրիստոսի աստուծոյ մերոյ... | Grigor Marzowanc̕i, Girk̕ or koči Aysmawowrk̕ : Or parownakē yink̕ean zč̣aṙs varowc̕ srboc̕, ew gnahatkowt̕iwns eraneli martirosac̕n, ew vkayic̕n K̕ristosi astowçoy meroy... K. Polis, tp. Grigor Marzwowanec̕ow, 1733. Collections de la BULAC, BULAC RES MON Fol 569.

Dans cette partie patrimoniale du fonds, les exemplaires de Venise édités par la Congrégation des pères mékhitaristes, installée sur la lagune à partir de 1717, sont les mieux représentés. Parmi ces publications, citons la remarquable Histoire de l'Arménie en 3 volumes (1784-1786), de Čamčean Mik̕ayēl (1738-1823). Ce dernier adopte une méthodologie nouvelle en allant puiser notamment dans les sources arméniennes, latines et grecques, ce qui lui permet d’établir pour la première fois une historiographie critique de l’Arménie. Des éditions des pères mékhitaristes de Vienne sont également conservées dans les collections de la BULAC.

Plus tard, les publications de l’Institut Lazarian des langues orientales, une école d’enseignement de l’arménien, créée à Moscou en 1815, contribuent également à enrichir le fonds. Puis Charles Schefer (1820-1898), l’administrateur de l'École des langues orientales, rapportera de ses visites à Moscou, notamment en 1872, 50 ouvrages, dont les 31 titres en arménien permettront de poursuivre l’accroissement du fonds.

Viennent ensuite les éditions de Jérusalem, dont les publications, presque exclusivement religieuses, comprennent les écrits de Eġišē Dowrean, le patriarcat de Jérusalem.

Ce fonds est également alimenté grâce à la contribution des enseignants. Édouard Dulaurier, professeur de 1862 à 1881, auteur et éditeur de textes des lettres classiques arméniennes, lègue à la Bibliothèque des langues orientales ses archives constituées de correspondances, de manuscrits de travaux, parfois copiés de sa main1, et d’ouvrages parmi lesquels figure l’Étude sur l’organisation politique, religieuse et administrative du royaume de la Petite-Arménie à l’époque des Croisades, ainsi qu’un Dictionnaire arménien-français en deux volumes entièrement manuscrit et inédit, composé d’après le dictionnaire arménien du père Mékhitar de Sébaste, imprimé à Venise en 1749, et traduit à partir du dictionnaire arménien, latin et italien du père de Villafor.

C’est ainsi qu’en 1874, les collections arméniennes de la Bibliothèque des langues orientales se composent déjà de 237 volumes, dont 189 sont en arménien, ce qui représente alors 7,5 % du fonds ancien de la bibliothèque.

En 1879, une vraie politique d’acquisition se met en place grâce au dynamisme d’Auguste Carrière, secrétaire-bibliothécaire de 1874 à 1882. L’objectif est de combler les lacunes du passé en se procurant un échantillon significatif de la production éditoriale de la diaspora. De 1879 à 1888, il acquiert ainsi 110 livres. Plus tard, par acquisition post mortem, 137 ouvrages de sa bibliothèque personnelle, dont de nombreux tirés à part, et notamment, Les huit sanctuaires de l’Arménie payenne, intègrent le fonds.

Il faut noter également les acquisitions effectuées par le biais des catalogues de vente. La vente « Victor Langlois », décédé en 1869, enrichit le domaine de 66 nouveaux ouvrages, dont 26 sont en arménien. Issus de la vente « Dulaurier », 59 ouvrages publiés à Madras, Edjmiadzine et Constantinople viennent s’ajouter au fonds. Grâce aux ventes publiques, Ernest-Guillaume Lambrecht, secrétaire-bibliothécaire de l’École, achète de son côté, 331 volumes sur l'Arménie, publiés à Venise, Constantinople et Calcutta.

Les dons ont aussi leur part dans l’accroissement de cette collection. Ainsi en 1919, 75 volumes, publiés entre 1801 et 1892 à Venise, Moscou, New-York et Paris sont inscrits dans les registres d’inventaire au nom d’un certain H. Lacroix (un des membres fondateurs de la Société des études arméniennes).

En 1943, les héritiers d'Antoine Meillet lèguent à la bibliothèque 300 volumes, issus de sa collection personnelle. La cote « MEI » est créée la même année pour lui rendre hommage, et regrouper tous les ouvrages en arménien. Antoine Meillet est le cofondateur, en 1920, avec Frédéric Macler, de la Société des études arméniennes, et de la très consultée Revue des études arméniennes. Dans ce don figurent également de nombreuses œuvres littéraires d’écrivains de l’Arménie soviétique, ou exilés. Un deuxième exemplaire du Trésor de la langue arménienne, de l’orientaliste allemand Johann Joachim Schröder, publié en 1711 à Amsterdam, et portant la marque de son premier propriétaire, Auguste Carrière, en fait également partie. Ce Thésaurus de Schröder est une référence incontournable pour l’étude de l’histoire de l’Arménie et de la langue. Schröder porte son attention sur la langue moderne à une époque où la langue classique demeure encore la seule langue de l’écrit. Le premier exemplaire acquis en 1879 provient de la Maison professe des Jésuites de Paris. En 2022, 900 ouvrages en langue arménienne sont recensés dans les collections patrimoniales de la Réserve de la BULAC. Sont signalés dans le catalogue, 643 de ces titres, 43 d’entre eux ont été édités entre le XVIe et le XVIIIe siècles, et les 600 restants, entre le XIXe siècle et les années 1920. L’arménien classique est la langue qui domine ces publications. Au sein de cet ensemble patrimonial, plusieurs thématiques phares émergent, telle que la religion, la BULAC possédant une belle collection de bibles en arménien classique et moderne, dont l’une des plus anciennes, Nor Ktakaran, publiée à Amsterdam, date de 1698.

  • 1 Le traitement de ces archives a fait l’objet d’un partenariat avec l’association Calfa (cf en fin de présentation).
Le trésor de la langue arménienne

Johann Joachim Schröder, Joh. Joachimi Schröderi thesaurus linguae armenicae, antiquae et hodiernae : cum varia praxios materia, cujus elenchim sequens pagella exhibet, Amstelodami, 1711. Collections de la BULAC, BULAC RES MON 8 1011.

Nor Ktakaran

Նոր Կտակարան : Տպագրեցեալ Վայելչագիր՝ և Գեղեցկադիր յօրինուածովք։ Հաւանութեամբ, Տպիւք, և ծախիւք Թօմայ Եռամեծ Վարդապետին. և Վանիցն Գողթնեաց Սրբոյ Խաչին Մաքրափայլ Եպիսկոպոսին։ Ի Հայրապետութեանն Լուսահեղոյս Գահոյին Սրբոյ Էջմիածնի՝ Տեառն Նահապետի, Հօրն մերոյ Սրբոյն Գրիգորի Լուսաւորչի Փոխանորդի, և ամ[ենայն] Հայոց Ինքնագլուխ Հովուապետի | Nor Ktakaran : Tpagrec̕eal Vayelčagir՝ ew Geġec̕kadir yōrinowaçovk̕։ Hawanowt̕eamb, Tpiwk̕, ew çaxiwk̕ T̕ōmay Eṙameç Vardapetin. ew Vanic̕n Goġt̕neac̕ Srboy Xačin Mak̕rap̕ayl Episkoposin։ I Hayrapetowt̕eann Lowsaheġoys Gahoyin Srboy Ēǰmiaçni՝ Teaṙn Nahapeti, Hōrn meroy Srboyn Grigori Lowsaworči P̕oxanordi, ew am[enayn] Hayoc̕ Ink̕naglowx Hovowapeti. Yamst̕ēlōtam (Amsterdam), 1698. Collections de la BULAC, BULAC RES MON 8 5143.

La tradition historiographique arménienne, très développée dès le Ve siècle, est bien représentée dans ces imprimés anciens : Patmowt̕iwn Hayoc̕, Histoire de l’Arménie de Moïse de Khoren (410-490), publié en 1769, retrace l'histoire de l’origine des Arméniens et la relie à celle de l’Humanité en prenant, le récit biblique, comme référence unique.

L'histoire des dynasties arméniennes documente l'histoire des relations diplomatiques de l'Arménie avec ses pays voisins. De nombreux manuscrits datant du Moyen Âge font référence à la dimension patriotique de la famille Orbelian en Géorgie, notamment relatée dans l’historiographie moderne de Mesrop Erets, ainsi que dans l’Histoire des restes des Arméniens et des Géorgiens, publié à Madras en 1775, conservées par la BULAC.

Les dictionnaires, indispensables à l'apprentissage d’une langue, ont naturellement leur place dans les éditions anciennes. La BULAC conserve par exemple dans ses collections le dictionnaire, attesté comme étant le plus ancien, ԲԱՌԱԳԻՐՔ ՀԱՅՈՑ, Dictionarium armeno-latinum de Francisco Rivola, datant de 1633, cette édition correspondant au deuxième tirage du premier dictionnaire arménien-latin, publié en 1621. Celle-ci avait été réalisée à la demande de Richelieu dans le cadre du programme d’accompagnement des missionnaires français dans l’Orient chrétien. Par ailleurs, les deux volumes du dictionnaire Baṙgirk̕ haykazean lezowi, publiés en 1749 et 1769 par Mxit̕ar Sebastac̕i, fondateur de la Congrégation mékhitariste de Venise, avaient été acquis par la bibliothèque en mai 1943. Au titre des documents les plus précieux présents dans les collections, citons également Girg vayelowč ew harkawor, publié à Marseille en 1675. Cette traduction de l'œuvre latine Epitome arithmeticae practicae est la première étude scientifique éditée en arménien moderne. Ce volume relié, accompagné d’un calendrier simplifié datant de 1675, est inscrit à l’inventaire de la bibliothèque, en 1909, comme ayant été acquis auprès du libraire Ernest Leroux, expert de la vente publique de la bibliothèque personnelle d’Auguste Carrière.

Constitution du fonds moderne

L’Église détenant le monopole de l’imprimerie jusqu’en 1840, l’accès aux livres, majoritairement écrits en arménien classique, est limité aux élites et aux clercs. Il faut attendre la révolution culturelle, consécutive au Mouvement révolutionnaire arménien débuté en 1860, pour que les deux variantes de l’arménien moderne se standardisent et accèdent véritablement à l’écrit. Mais l’insécurité et l’instabilité géopolitique sur les territoires arméniens mettent en difficulté le monde de l’édition et de la diffusion du livre arménien jusqu’au début du XXsiècle.

À partir de 1920, les achats en arménien pour la bibliothèque se raréfient. Globalement la proportion de ces ouvrages ne cessera de décroître pour passer de 7,5 %, avant 1874, à 1,1 %, en 2001. Cette longue période est marquée par l'absence d’un bibliothécaire locuteur de l’arménien sur ce fonds qui enregistre par conséquent une baisse d’acquisition des ouvrages contemporains en langue originale. Les achats en langues occidentales se poursuivent cependant. Mais ce n’est véritablement qu’en 2008, lorsqu'un bibliothécaire spécialisé est recruté pour le fonds arménien que la situation commence à évoluer.

La littérature, l’histoire et l’étude de la langue sont les trois pôles d’excellence du fonds moderne, suivis par les sciences humaines et sociales. Depuis cette dernière décennie, le fonds s’est ouvert sur d’autres thématiques telles que l’histoire de l’art et l’anthropologie de la diaspora arménienne. Pour poursuivre son enrichissement, la BULAC achète de façon régulière des ouvrages, en adéquation avec sa politique documentaire, sélectionnés dans la production éditoriale de la République d’Arménie, ainsi que dans celle qui est publiée par la diaspora à travers le monde.

Le paysage éditorial français compte quelques maisons spécialisées dans les publications sur l'Arménie, telles que : Sources d’Arménie, Thadée, Sigest, Edipol ou Le Cercle d’écrits caucasiens. Il est à noter que la collection « Diasporale », des éditions Parenthèses-Marseille, s'attache aujourd’hui à restituer l'histoire de la diaspora, en publiant des récits antérieurs au génocide ou relatifs à la période soviétique, ainsi que des ouvrages mémoriels et des récits de vie d'exilés, en français ou en traduction de l’arménien. Citons également la collection « Lettres arméniennes » des éditions L’Harmattan qui propose aux lecteurs francophones des traductions littéraires, ainsi que des ouvrages sur l’Arménie, sa civilisation et sa culture.

Au revoir, Piaf

Aram Pachyan, traduit de l'arménien par Anahit Avetissian, Au revoir, Piaf, Marseille, Éditions Parenthèses, 2020. Collections de la BULAC, 21AM 804.5 PAC.

Arménie : une passion française

Claire Mouradian (dir.), Arménie : une passion française : le mouvement arménophile en France 1878-1923 : exposition, [présentée au] Musée de Montmartre, [Paris], avril 2007, Paris, Magellan & Cie, Musée de Montmartre, 2007. Collections de la BULAC, 21AM 328 FRA M.

Au cours de ces dernières décennies, l’édition en Arménie a connu un certain nombre de bouleversements. Après la chute du bloc soviétique en 1991, l'indépendance de l’Arménie permet l'avènement d’un éveil collectif qui s’accompagne de la prise en main de son destin national par la population, celui-ci se concrétisant notamment à travers la langue arménienne écrite. Le russe lui cède peu à peu la place dans le paysage académique. De nouvelles dynamiques apparaissent à la faveur de nouvelles influences culturelles. Mais pour des raisons économiques, l’activité éditoriale se limite à Erevan, la capitale. Les tirages des ouvrages scientifiques publiés sont par conséquent restreints et leur diffusion s’effectue principalement dans les cercles exigus de l’intelligentsia.

La littérature

Une centaine d’œuvres littéraires, réunissant les grands auteurs d’Arménie et de la diaspora, publiées entre 1930 et 1967 en Arménie soviétique, figurent dans les collections de la BULAC, comme celles de Léo, Aksel Bakownc̕, Širvanzadē, Petros Dowrean, Mkrtitch Armen, Grigor Zohrap.

Un nombre important d’œuvres d’écrivains victimes ou survivants du génocide de 1915, majoritairement publiées au Moyen-Orient, figurent également dans les collections. Parmi ces survivants ou leurs descendants, de nombreux écrivains, journalistes, enseignants et intellectuels se sont exilés en France. Citons quelques figures majeures telles que Krikor Beledian, professeur, critique littéraire, traducteur et éminent écrivain contemporain, dont les écrits contribuent à renouveler la pratique de l’arménien moderne occidental. La BULAC a le souci de réunir et conserver l’ensemble des éditions ou rééditions de ces œuvres, dans lesquelles ont été exhumés des textes et des auteurs arméniens d’exception.

La diaspora déclenche une dynamique littéraire, mêlant innovation et retour aux sources, d’où jaillissent d'authentiques chefs-d'œuvre, notamment ceux de Armen Lubin, Nigoghos Sarafian ou Zareh Vorpouni.

Krikor Beledian, citation extraite de Cinquante ans de littérature arménienne en France

L’écriture diasporique tient une place particulière dans les collections de la bibliothèque. L’Internet, favorisant et multipliant les échanges, de nouvelles tendances éditoriales ne cessent de voir le jour. Les intellectuels arméniens en exil rencontrent de leur côté un public grandissant en Arménie. C’est ainsi que certains de ces auteurs, de formation occidentale, à l’image de Krikor Beledian et de Marc Nichanian, ont la possibilité d’y publier leurs ouvrages en arménien occidental et en orthographe classique. Cette nouvelle tendance a convaincu les éditions Actual Art de lancer en 2019 la collection « Diaspora » dans laquelle sont exclusivement publiés des écrivains de l’exil.

Le paysage éditorial arménien des années 2020 est constitué d’une dizaine de maisons d’édition de référence comme les éditions Zangak, Actual art ou Antares. Elles sont spécialisées dans la publication de manuels scolaires, de littérature traduite ou de livres bilingues. Les publications universitaires y sont en plein essor. C’est également le cas de l’ensemble de la production de la diaspora traduite, ou publiée en édition bilingue, en Arménie. Celle-ci, se faisant l’écho du dynamisme de l’édition dans les pays de la diaspora, connaît dans le pays un succès qui ne se dément pas.

L’Arménie est devenue, en 2008, membre de l’Organisation mondiale de la francophonie. Afin de compléter sa documentation en linguistique et accompagner les cours de traductologie, la BULAC acquiert chaque année un éventail représentatif d’œuvres traduites, publiées en Arménie ou dans la diaspora, citons à titre d’exemples : P̕ok̕rik Nikolë arewmtahayerēn, traduction de six histoires extraites de La rentrée du Petit Nicolas, et ah ow sarsap̕, traduction de Stupeur et tremblements d’Amélie Nothomb.

Dans la diaspora, la Fondation Calouste-Gulbenkian, basée au Portugal et dont le rayonnement est mondial, joue un rôle structurant en finançant la traduction et la publication en Arménie des œuvres littéraires et philosophiques classiques ou incontournables, publiées par ailleurs en arménien occidental, tel que L'Antéchrist du philosophe allemand, Friedrich Nietzsche, publié à Erevan en 2017. Un tel soutien permet de promouvoir cette variante occidentale de l'arménien moderne, notamment considérée comme une des langues de France : « dépourvues de territoire, effectivement parlées par [leurs] ressortissants, et qui enrichissent son patrimoine »1.

L’art dramatique est un genre littéraire jouant également un rôle important dans la diffusion de l’arménien moderne. En 2009, l’achat réalisé au Liban d’une collection de 28 pièces de théâtre a permis à la BULAC d’enrichir de façon conséquente ce fonds très spécifique.

  • 1 Cf le rapport Les langues de France, Bernard Cerquiglini, avril 1999.

L'histoire

Outre la littérature, les publications sur l’histoire contemporaine et moderne, dans la continuité de la tradition historiographique arménienne, occupent une part importante de ces collections.

Au XXsiècle, le génocide de 1915, demeure l’événement le plus tragique dans l’histoire moderne du peuple arménien. Ce désastre impactera durablement la production littéraire et le monde éditorial. Dès lors, les Arméniens poursuivront l’objectif de documenter la « catastrophe » par tous les moyens. Des publications d’archives, de sources diverses, de biographies, de témoignages personnels, de récits historiques ou littéraires, contemporains ou postérieurs aux événements, sont venus enrichir le fonds arménien de la BULAC au fil du XXsiècle. De même que la commémoration du centième anniversaire du génocide des Arméniens en 2015 a donné lieu à de nombreuses publications dont la bibliothèque a fait l’acquisition.

La perversion historiographique : une réflexion arménienne

Marc Nichanian, La perversion historiographique : une réflexion arménienne, Paris, Lignes & manifestes, 2006. Collections de la BULAC, 21AM 801 NIC.

Comprendre le génocide des Arméniens : de 1915 à nos jours

Hamit Bozarslan, Vincent Duclert et Raymond Kévorkian, Comprendre le génocide des Arméniens : de 1915 à nos jours, Paris, Tallandier, 2021. Collections de la BULAC, 21AM 322 BOZ.

Par ailleurs, la BULAC propose un ensemble de publications répertoriant les villes dont les vestiges témoignent de la présence historique d’une diaspora arménienne, telles que celles de Richard G. Hovannisian. La Constitution nationale arménienne, rédigée par son intelligentsia et publiée en 1860 par le patriarcat arménien de Constantinople, pendant les réformes de Tanzimat, figure également au catalogue. Elle regroupe 150 articles décrivant le fonctionnement du millet (communauté confessionnelle arménienne), de son instance dirigeante, ainsi que des pouvoirs du patriarche.

Dans ces collections, de nombreuses publications documentent également la brève période de la République d'Arménie (1918-1920), proclamée sept siècles après la chute du dernier royaume arménien (1375), et avant son intégration à l’Union soviétique en 1920. Elle devient la République socialiste soviétique d'Arménie, créée en 1921, après sa soviétisation, et perdurera jusqu’en 1991, date de la création de la République indépendante d’Arménie.

La géopolitique mouvementée de l’Arménie a aussi sa place dans les collections, mais les acquisitions sur cette thématique restent sélectives et privilégient les ouvrages de référence.

Langue et linguistique

Manuel élémentaire d'arménien classique

Antoine Meillet, traduction de Gabriel Képéklian, préface de Charles de Lamberterie, Manuel élémentaire d'arménien classique, Limoges, Éditions Lambert-Lucas, 2017. Collections de la BULAC, 21AM 415.ARM MEI.

La langue et la linguistique sont les disciplines phares du domaine arménien de la BULAC. L’ensemble des manuels de didactique, méthodes de langue, grammaires, dictionnaires, lexiques ou usuels sur les dialectes arméniens, sont librement accessibles pour l’étude de l’arménien classique et de ses deux variantes en arménien moderne. Citons quelques-uns des ouvrages de référence pour les études occidentales présents en salle de lecture : Manuel élémentaire d'arménien classique, d’Antoine Meillet, traduit de l'allemand en 2017, par Gabriel Képéklian, ou le Manuel pratique d'arménien ancien, traduit à Genève en 1976, par Martiros Minassian, et destiné aux lecteurs de langue française.

Au XXsiècle, les deux variantes modernes de l’arménien empruntent deux chemins différents. Après le génocide de 1915, l’arménien occidental devient la langue de la diaspora, démunie d’instance de référence, tandis que l’arménien oriental devient la langue d’État de l’Arménie soviétique.

La BULAC propose plusieurs manuels de référence en français pour l'arménien moderne occidental : Manuel de langue arménienne, de Frédéric Feydit (1969) ; Méthode d'arménien occidental, composée par Haroutioun Kurkdjian (1976) ; et pour les anglophones, A course in Modern Western Armenian, de Thomas J. Samuelian (1989).

Pour l’arménien moderne oriental, citons quelques incontournables du catalogue : la Grammaire d'arménien oriental, de Martiros Minassian, de même que le manuel Eastern Armenian: for the English-speaking world ; Modern Western Armenian for the English-speaking world : a contrastive approach, de Dora Sakayan ; Sovorowm enk̕ grel, kardal, xosel hayeren, de L. K. Mowradyan et Armenian‎ modern Eastern Armenian, de Jasmine Dum-Tragut.

Les publications atypiques

Bible en kurde et en caractères arméniens

Bible en kurde et en caractères arméniens. Ինճիլ խօտէէ մէ իսա էլ մէսիհէ նըվըսանտըն Պը Տէսթէ Մատթէոս Մարգօս Լուգաս ու Հաննա | Inč̣il xōtēē mē isa ēl mēsihē nëvësantën Pë Tēst̕ē Matt̕ēos Margōs Lowgas ow Hanna. լը ըսթամպուլտա, տպ. Հենրի Գայոլի, 1857. lë ëst̕ampowlta, tp. Henri Gayoli, 1857. Collections de la BULAC, BIULO BA.III.23.

Ce fonds recèle également quelques publications de caractère atypique que ce soit en arméno-turc ou en arméno-kurde. Ces « curiosités » de la bibliothèque témoignent de pratiques éditoriales en vigueur au sein de l’Empire ottoman, du XVIIe au XXe siècle. Les Arméniens turcophones avaient par exemple délaissé l’écriture arabe au profit de leur propre alphabet, jugé plus pratique, pour écrire en turc. Dans ce fonds sont aussi conservés quelques ouvrages de prière en turc et plus rarement en kurde. Ces traductions en caractères arméniens avaient été publiées par des missionnaires américains, pour permettre aux Arméniens de pratiquer leur foi chrétienne dans ces langues. Sont également présents quelques ouvrages littéraires, tels que Pin pir kiwlnēr (Mille et un jours, en caractères arméniens et en langue turque), ainsi que La Bibliographie des livres et de la presse armeno-turque, (1727-1968). Autre exemple intéressant, celui de l'arméno-kiptchak, langue pratiquée par les Arméniens au contact du tatar (et judéo-kiptchak pour les Juifs) lorsqu’ils fuient l'Anatolie au XIsiècle et arrivent dans les régions correspondant aujourd’hui à l’Ukraine et à la Pologne. Les plus anciennes publications en écriture arménienne de l'arméno-kiptchak datent du XVsiècle. Quelques publications récentes témoignent de cet usage linguistique, citons par exemple : Armano Kiptchak texts from Lvov (AD 1618), publié à Budapest en 1962.

Les titres de presse et les revues académiques

Quatre titres de revues au niveau « étude » (rez-de-chaussée) et huit autres titres au niveau « recherche » (rez-de-jardin) sont suivis et librement consultables en salle de lecture.

La presse arménienne est riche de plus de 3 500 titres publiés à travers le monde. Aztarar, le premier titre de presse historique, avait été publié à Madras entre 1794 et 1796. Les collections de la BULAC sont constituées d'un peu plus de 80 titres, dont 40 sont écrits en arménien et sont publiés en France. Bien que les états de collections soient lacunaires, la bibliothèque conserve des titres emblématiques, tel Armenia (1885-1923), un hebdomadaire en langue arménienne fondé par Meguerditch Portoukalian, qui s’intéressait aux Arméniens de l’Empire ottoman, vivant dans les six vilayets et ailleurs, comme à Constantinople. Il était alors diffusé clandestinement dans tout l’Empire ainsi que dans le Caucase.

Cette presse diasporique joue également un rôle central dans le processus du passage d’une langue classique, exempte d'emprunts étrangers, à une langue parlée, ouverte à l’invention, la créativité et propice à la diffusion d’une langue littéraire modernisée. Le journal Շտեմարան պիտանի գիտելեաց (Réservoir des connaissances utiles), publié à Smyrne à partir de 1839, en arménien occidental, est le premier à avoir joué ce rôle.

Le journal français Pro Armenia, fondé en 1900, et dirigé jusqu’en 1914 par Pierre Quillard (1864-1912), sera partie prenante dans le mouvement arménophile de Paris, qui compte alors parmi ses membres les plus célèbres : Anatole France, Georges Clemenceau et Jean Jaurès, qui alerteront sur le sort tragique des Arméniens de l’Empire ottoman.

Certains périodiques sont nés de l’évolution du monde de la recherche, entre 1900 et 1913. C’est notamment à cette époque que paraît Ēminean Azgagrakan žoġovaçow, la revue ethnographique arménienne publiée par l’Institut Lazarian de Moscou, initiant le public aux nouvelles disciplines de l’anthropologie, de la sociologie et surtout de l’ethnologie.

La presse contribue également à l’essor de la littérature, en publiant des fictions sous forme de feuilletons. La revue parisienne Andastan : arts et littérature, référence de la littérature arménienne d’après-guerre, comptait parmi ses rédacteurs les plus grands écrivains arméniens de France.

Araxe

Արաքս | Araxe. N°1, 25 novembre 1952. Collections de la BULAC, BIULO PER.222.

Ēminean Azgagrakan žoġovaçow

Էմինեան Ազգագրական ժողովածու : հրատարակութեամբ Լազարեան ճեմարանի արեւելեան լեզուաց = Эминскiй этнографическiй сборникъ. | Ēminean Azgagrakan žoġovaçow : žoġovrdakan vēp ew hēk̕ēat̕ = Эминскiй этнографическiй сборникъ. hratarakowt̕eamb Lazarean č̣emarani arewelean lezowac̕. Moskowa-Vaġaršapat, Lazarean č̣emarani arewelean lezowac̕, 1900-1913. Collections de la BULAC, BIULO PER.6639.

Exemplaire du journal Haratch (année 1957). Grégoire Maisonneuve / BULAC.

Exemplaire du journal Haratch (année 1957). Grégoire Maisonneuve / BULAC.

Outil essentiel dans la construction d’une identité arménienne en exil, la presse crée un réseau entre intellectuels arméniens et forme un pont avec l’intelligentsia en Arménie. La BULAC peut s’enorgueillir de conserver depuis 2010 la collection complète des 22 214 numéros du quotidien Haratch, des origines de sa parution jusqu’à la fin du titre. Ce journal est l’unique quotidien publié dans la diaspora sur une aussi longue période, après le génocide de 1915. En 2009, après sa fermeture, Arpik Missakian, journaliste et fille des fondateurs de Haratch, épaulée par la journaliste Arpi Totoyan, propose à la BULAC de conserver l’ensemble des numéros. Son conditionnement sous forme de beaux volumes in-folio soigneusement reliés permet à un public assidu une consultation facilitée. En 2014, la très dynamique Association pour la recherche et l’archivage de la mémoire arménienne (ARAM) a proposé à la BULAC de numériser l’intégralité de la collection Haratch. ARAM a pour mission de collecter et d’archiver la mémoire arménienne et de la rendre accessible à un large public. Tous les documents, ou archives privées de toute nature, constituent un centre de ressources et une bibliothèque numérique de référence pour l’ensemble de la communauté arménienne à travers le monde. Cet ambitieux chantier, qui aura permis, malgré sa complexité, de numériser 99 volumes reliés de la collection Haratch, soit 20 mètres linéaires et 90 000 pages numérisées, aura duré sept ans : « Le journal et son fondateur jouaient un rôle de père, de guide, de conseiller, voire de pédagogue pour les Arméniens de France et même du monde entier », a ainsi rappelé l’écrivain Krikor Beledian, lors de la soirée de présentation de la fin du chantier de numérisation. Pour M. Beledian, « Il était perçu comme un organe non seulement d’information et d’analyse, mais également d’enseignement. C’est dans ses colonnes que nombre de lecteurs apprennent leur langue, leur histoire et leur littérature ». Haratch a en effet la particularité d’être écrit en arménien occidental, la langue parlée par les Arméniens présents dans l’Empire Ottoman, et leurs descendants (lire l’article). L’intégralité du titre est aujourd’hui disponible en ligne, sous une forme numérisée de haute qualité. Par ailleurs, l’ensemble du texte a fait l’objet d’un traitement de reconnaissance optique de caractère, particulièrement difficile pour la typographie utilisée, permettant la recherche plein texte dans les pages du journal.

Depuis 2009, la BULAC s’est abonnée à quatre nouveaux titres de presse publiés en France, librement accessibles au rez-de-chaussée de la salle de lecture : France Arménie, Les Nouvelles d'Arménie, Nor Haratch (fondé en 2009), journal tri-hebdomadaire en arménien comportant un supplément en français, et l’hebdomadaire Agos, bilingue (arménien-turc) édité à Istanbul depuis 1996. En tant qu’ardent défenseur des valeurs de la démocratie, il attire un lectorat turc grandissant. Huit autres titres sont librement accessibles en salle, au rez-de-jardin, parmi lesquels Bazmavēp, revue scientifique littéraire et philologique, publiée par les khitaristes de l’île Saint-Lazare (Venise), en 1843, The Armenian Review, revue universitaire sur l’Arménie et les Arméniens, publiée depuis 1948 au Massachusetts. Parmi les collections conservées en magasin, citons la Revue des études arméniennes, le périodique de référence en arménologie notamment créé par les linguistes Frédéric Macler et Antoine Meillet en janvier 1920. Cette publication rend compte des travaux scientifiques dans des disciplines telles que l'histoire, l’histoire de l’art, la civilisation, la philologie, la linguistique et la littérature de l'Arménie classique et médiévale.

Publiée sous forme imprimée depuis 2013, la revue Études arméniennes contemporaines (EAC) devient historiquement la première revue sur les études arméniennes éditée en ligne.

La Bibliothèque nationale d’Arménie poursuit sa politique de numérisation systématique de la presse. Des milliers de titres numérisés et précisément répertoriés sont librement accessibles en ligne.

Axes de développement actuels du fonds

De par son statut de bibliothèque universitaire et sa politique d’acquisition en adéquation avec les centres d’intérêts des études arméniennes, la BULAC occupe une place importante dans le monde arménien de la recherche. Depuis 2008, l’accroissement des collections est continu grâce à la pérennisation du poste de chargé du domaine arménien. Les acquisitions sont réparties entre les publications en langue vernaculaire et celles en langues occidentales, éditées en Arménie et dans la diaspora arménienne à travers le monde. Une attention accrue est portée aux thématiques contemporaines. Cette veille et ces acquisitions permettent d’ouvrir et d’enrichir les collections sur d’autres disciplines, telles que l'art, le cinéma ou l’anthropologie de la diaspora arménienne. Dans le domaine de la géopolitique, les conflits récents ou en cours sont également documentés, de même que les patrimoines historique, architectural et artistique.

Les listes bibliographiques établies par les enseignants, les suggestions d’achats régulièrement proposées par les chercheurs ainsi que les dons, souvent issus de bibliothèques personnelles de chercheurs, jouent un rôle considérable dans l’accroissement du fonds.

À l’inverse, les achats d’ouvrages en langue russe, une pratique qui aura perduré durant plusieurs décennies, tendent à diminuer depuis la chute de l’URSS et la proclamation de l’indépendance de l’Arménie en 1991. Conséquence de la soviétisation de l’Arménie entre 1920 et 1991, la langue russe s’était introduite dans l’enseignement supérieur et s’était imposée progressivement dans le paysage éditorial en Arménie, le gouvernement soviétique veillant, par ailleurs, à diffuser largement hors de ses frontières sa production éditoriale, y compris celle publiée en Arménie. Les collections arméniennes de la BULAC datant de cette époque sont ainsi le reflet de cette production éditoriale éditée en langue russe en Arménie.

Les ressources en ligne produites en Arménie sont largement ouvertes et se développent de façon continue. Cette politique d’État, soucieuse de préserver et de valoriser le patrimoine écrit en ligne, se décline à grande échelle et explique qu’il n’a pas été nécessaire à la BULAC de développer l’achat d’abonnements électroniques. Grâce aux différents chantiers de numérisation lancés par la Bibliothèque nationale d’Arménie (BnA), plus de 2 800 titres de périodiques sur 6 370 répertoriés ont été à ce jour numérisés et sont depuis disponibles dans le Catalogue collectif des périodiques arméniens. Le Catalogue du livre arménien de la BnA contient près de 129 950 titres, dont 31 270 d’entre eux existent en version numérisée et sont librement accessibles en ligne1.

C’est également le cas de la presque totalité de la littérature classique publiée entre 1512 et 1920. De son côté, la Bibliothèque scientifique fondamentale de l'Académie nationale des sciences s’est engagée dans cette dynamique en créant le Consortium des bibliothèques numériques d’Arménie. La création d’un dépôt national donne libre accès aux thèses et mémoires électroniques. Plusieurs institutions d’enseignement et de recherche - citons notamment Brusov State University ou Armenian State University of Economics -, ont opté pour une politique d’accès ouvert à leurs publications universitaires…

  • 1 Un accord avait été passé en 2020 entre la direction de la Bibliothèque d’État et les auteurs de 3 813 titres, publiés entre 1960 et 2022, désormais numérisés et librement accessibles en ligne.

Le partenariat Calfa-BULAC : un projet original

Logo de Calfa

Un partenariat conclu entre la BULAC et Calfa en 2019 a permis à cette association de se pencher sur les écritures arméniennes contemporaines ; un billet publié sur le Carreau de la BULAC revient en détail sur la méthodologie adoptée. La BULAC a mis ses collections à la disposition de l’association, en l’occurrence le fonds d’archives Dulaurier. Les documents sélectionnés par Calfa ont ensuite été traités par le service de numérisation à la demande de la BULAC (un service accessible à tout lecteur pour des documents libres de droits). Les résultats obtenus ont été présentés lors du colloque Digital Armenian organisé par l'Inalco, en partenariat avec la BULAC, en octobre 2019. L’association Calfa a été lauréate du Prix Télécoms Innovations 2019. Une vidéo de présentation du projet et du partenariat Calfa-BULAC est disponible en ligne.

Consultez également les ressources sélectionnées par le chargé de collections du domaine arménien

Séance de hackathon avec l'association Calfa

Calfa est un projet de traitement automatique de la langue arménienne classique. Un partenariat conclu entre la BULAC et Calfa en 2019 a permis à l’association Calfa de se pencher sur des écritures arméniennes contemporaines.

Krikor Beledian

Des collections arméniennes enfin rassemblées et accessibles.
La BULAC est allée à la rencontre de Krikor Beledian, l'un des plus grands écrivains contemporains en arménien occidental. En revenant sur son passé de chercheur en études arméniennes et de critique...

Journal Haratch

Le journal Haratch | Յառաջ, fondé en 1925 par Chavarche Missakian (1884-1957) et dont l’édition fut poursuivie par sa fille Arpik Missakian (1926-2015) jusqu’en 2009, occupe une place singulière dans l’histoire de la communauté arménienne de France, dont l’influence...

Haratch, la voix arménienne de France
22 mai 2015 – 18:30 > 20:30

Conférence du cycle « D’autres regards sur le monde »

Le livre arménien : une culture en diaspora
26 octobre 2012 – 10:00 > 17:30

À l’occasion du 500e anniversaire du livre imprimé arménien, la BULAC organise une journée d’études sur le livre arménien et s’associe à l’exposition organisée par la Bibliothèque Mazarine.

Marine Defosse
Responsable adjointe du pôle Développement des collections, chef de l'équipe AMOMAC et chargée de collections pour le domaine Afrique
marine.defosse@bulac.fr