Domaine kurde
Les Kurdes sont un peuple d’environ 40 millions de personnes habitant une région, le Kurdistan, aujourd’hui divisée entre quatre États-nations : l’Iran (environ 10 millions de Kurdes), l’Irak (environ 8 millions), la Syrie (environ 2,5 millions) et la Turquie (environ 20 millions). La langue kurde comporte deux dialectes majoritaires, le kurmandji et le sorani (approximativement 23 millions et 12 millions de locuteurs)1, en partie intercompréhensibles, tandis qu’une partie des Kurdes parlent aussi le zazaki/dimilki (3 à 4 millions de locuteurs, principalement dans la région de Dersîm, au Kurdistan de Turquie), le gurani (environ 500 000 locuteurs dans les régions de Hawraman, Mosul, Kirkuk) et un ensemble de dialectes kurdes méridionaux (3 millions de locuteurs, majoritairement au sud et à l’ouest de Kermanshah).
- 1 L’appellation « sorani » fait débat, certains auteurs et chercheurs lui préférant d’autres vocables, tels que « kurde central » ou encore « kurmandji méridional ». Voir Jaffer Sheyholislami, « The History and Development of Literary Central Kurdish », dans The Cambridge History of the Kurds, dir. Hamit Bozarslan, Cengiz Gunes, Veli Yadirgi, Cambridge : Cambridge University Press, 2021, p. 633-636.

Zeynep Kaya, Mapping Kurdistan, Cambridge, Cambridge University Press, 2020. Collections de la BULAC, 23XK 910 KAY.
Présentation générale

Article consacré à Charles de Gaulle dans Ronahî (« Lumière »), supplément illustré mensuel de Hawar (28 numéros parus entre 1942 et 1944). Celadet Bedirxan (dir.), Rênas Jiyan (ed.), Ronahî, Amed, Belkî, 2010, année 1, numéro 1, p. 10. Collections de la BULAC, 23XK 829.4 BED.
Le fonds kurde de la BULAC est riche de près de 3 000 volumes, dont un peu moins de la moitié, soit environ 1 300, sont accessibles en salle de lecture sous la cote géolinguistique 23XK. Il est constitué des collections de la Bibliothèque interuniversitaire des langues orientales (BIULO) et de la bibliothèque James-Darmesteter de l’Institut d'études iraniennes (aujourd’hui Centre de recherche sur le monde iranien - CeRMI). Parmi ces volumes, se trouve approximativement un tiers d’ouvrages en kurde (soit, un peu plus de 1 000 volumes), la très grande majorité en dialecte kurmandji, ainsi que 500 ouvrages en turc. En plus d’une centaine de volumes en arabe et en persan, le fonds contient aussi une proportion importante de travaux en langues occidentales, environ 500 en français, 500 en anglais et une centaine en russe et en allemand.
Sur le plan thématique, cette collection fait la part belle à la littérature, qui représente près d’un tiers du fonds (environ 1 200 documents), tandis que l’histoire, la linguistique (notamment dictionnaires, grammaires, manuels) et les études de sciences politiques sont les autres disciplines les plus en vue, avec environ 600 ouvrages pour chacune d’entre elles. Si la littérature, l’histoire et les langues représentent les disciplines majoritaires des collections de la bibliothèque, le fonds kurde se démarque par une forte composante d’ouvrages de sciences politiques, liée à la situation géopolitique des Kurdes et du Kurdistan, lisible dans l’historique de la constitution de la collection. En proportion, les champs relativement récents des études de genre, sur les frontières et les diasporas ou les génocides sont également bien représentés. De par sa richesse et sa spécialisation, cet ensemble documentaire est ainsi unique en France et, à l’échelle européenne, seule la bibliothèque de la School of Oriental and African Studies (SOAS) de Londres possède une collection équivalente.
Historique de la collection
La constitution de la collection est issue d’un double processus qui, sous certains aspects, peut sembler paradoxal : d’une part, le fonds kurde s’est longtemps trouvé « inféodé » aux trois fonds historiques de la bibliothèque de l’École des langues orientales que sont l’arabe, le persan et le turc ; d’autre part, son développement rapide, à partir de la seconde moitié du XXe siècle, a été le fruit d’une relation privilégiée entre la France et les Kurdes, notamment en Syrie, qui a largement marqué les collections de son empreinte. Il s’agit donc de bien mesurer à quel point la constitution du fonds kurde est, plus encore que ce ne fut le cas des fonds arabe, persan et turc, liée aux aléas du projet colonial français. Ainsi, Jordi Tejel évoque une « découverte de l’utilité des Kurdes » (italique dans l’original) dans le contexte de la politique mandataire en Syrie. Et c’est, en effet, dans ce cadre culturel et politique marqué que la « kurdologie » française s’est d’abord développée dans la première moitié du XXe siècle.
En plus de l’intérêt que pouvait revêtir, pour la puissance mandataire, le maintien de bonnes relations avec les élites kurdes, représentant une minorité susceptible de contrebalancer les velléités d’indépendance de la majorité arabe, la France conçoit aussi sa présence dans le Levant, comme ailleurs dans son Empire, dans la perspective d’une « mission civilisatrice ». Cette perspective, les agents français au Levant la partagent avec les élites kurdes occidentalisées qu’ils y rencontrent. C’est notamment le cas des frères Bedirxan, Celadet et Kamuran, qui, à l’instar de Mustafa Kemal en Turquie ou Reza Shah en Iran, souhaitent éduquer les Kurdes aux idéaux de la vie moderne, et du nationalisme au premier chef. Descendants de Bedirxan Beg, dernier grand émir de la principauté kurde du Bohtan, dont le règne s’illustre dans la célèbre épopée du XVIIe siècle Mem û Zîn, Celadet et Kamuran sont ainsi les fers de lance d’un mouvement nationaliste kurde réenvisagé comme une entreprise d’élévation culturelle et civilisationnelle – une forme de « nahda kurde », comme l’a appelée Stefan Winter1.
De cette collaboration franco-kurde sous le mandat émergent plusieurs publications fondatrices pour le développement de la langue kurde, notamment dans le domaine de la presse en dialecte kurmandji. Citons la plus importante de celles-ci, Hawar (« L’Appel »), bimensuelle et bilingue (kurde-français), dont les 57 numéros ont paru à Damas, du 15 mai 1932 au 15 août 1943. C’est également dans Hawar que fut introduit pour la première fois l’alphabet kurde en caractères latins, inventé par Celadet Bedirxan, encore utilisé aujourd’hui par les Kurdes de Turquie et de Syrie. La BULAC conserve un autre titre de presse (hebdomadaire et bilingue) important, Roja Nû (« Nouveau jour »), dont les 73 numéros furent publiés à Beyrouth par Kamuran Bedirxan (1895-1978), entre mai 1943 et mai 1946.
- 1 Stefan Winter, « The other ‘Nahḍah’: The Bedirxans, the Millîs and the Tribal Roots of Kurdish Nationalism in Syria », Oriente Moderno 86/3 (2006), p. 461-474.
Si la fin du mandat français et l’indépendance de la Syrie, en 1946, mettent un terme aux activités culturelles kurdes dans le pays, la collaboration franco-kurde se poursuit à Paris : ainsi, Roger Lescot, diplomate et ancien directeur de l’Institut français de Damas (1942-1944), crée la chaire de kurde (kurmandji) de l’École des langues orientales en 1945, deux ans plus tard, Kamuran Bedirxan lui succèdera1. Resté à Damas, Celadet Bedirxan poursuit également ses travaux avec Roger Lescot (1914-1975) ; ceux-ci aboutiront à la publication d’une Grammaire kurde (1970) qui fait, encore aujourd’hui, figure de référence dans l’étude linguistique du kurde kurmandji.
La « connexion kurdo-française » formée en Syrie et poursuivie à Paris donne essentiellement lieu, dans les premiers temps, à des études sur le dialecte kurmandji ; il faut attendre 1973 pour que l’enseignement du kurde sorani soit introduit à l’Inalco. Cette innovation se fait sur proposition de Joyce Blau (née en 1932), linguiste et ancienne étudiante de Kamuran Bedirxan qui, en 1970, lui a succédé à la chaire de kurde2. À partir des années 1960, le cursus s’enrichit de cours de civilisation dispensés par Thomas Bois (1966-1970), père dominicain lui aussi passé par le Levant, et Jean-Pierre Viennot (1969-1975), spécialiste du mouvement nationaliste kurde. Suite au départ à la retraite de Joyce Blau, en 2000, la chaire de kurde est dédoublée en une chaire pour le kurmandji (Michael Chyet, 2000-2001 ; Christine Allison, 2001-2007 ; Ibrahim Seydo Aydogan, en poste en 2023) et une chaire pour le sorani (Halkawt Hakem, 2000-2018 ; Amr Taher Ahmed, en poste en 2023).
- 1 Voir Pierre Labrousse (dir.), Langues’O, 1795-1995 : deux siècles d’histoire de l’École des langues orientales, Paris : Éditions Hervas, 1995, p. 96-97.
- 2 Voir Joyce Blau, « Une perspective historique sur les études kurdes. Entretien avec Joyce Blau », European Journal of Turkish Studies 5 (2006), numéro spécial Power, ideology, knowledge – deconstructing Kurdish Studies. [En ligne]
Si les kurdes kurmandji et sorani coexistent ainsi depuis un demi-siècle à parts égales au sein de l'enseignement de l’Inalco, les collections de la BULAC conservent, en revanche, la trace des circonstances historiques ayant présidé au développement des études kurdes francophones. Ainsi, l’Irak, centre majeur de publication en kurde sorani, se trouvant, au sortir de la Première Guerre mondiale, placé sous mandat britannique, ce sont essentiellement les chercheurs du Royaume-Uni qui ont collaboré avec les intellectuels de cette région. Si les fruits de cette collaboration, tel que le dictionnaire de référence de Tawfiq Wahby et C.J. Edmonds, se trouvent bien dans les collections de la BULAC, la production savante locale en est, en revanche, encore trop largement absente. Il s’agit là d’un axe en cours de développement.
Par ailleurs, les acquisitions en langue kurde ont historiquement été réalisées par les chargés de collections responsables des domaines arabe, persan et turc, en tant qu’activité annexe à leurs missions principales. À partir de 2016, le fonds kurde est traité à part entière par un premier chargé de collections, ce qui a permis de mettre à jour la documentation en kurde kurmandji. Le chargé de collections, en poste depuis 2022, a pour mission l’acquisition de documentation en kurde sorani, encore lacunaire dans le fonds, ainsi que le catalogage de l’important don fait à la bibliothèque par M. Halkawt Hakem, ancien titulaire de la chaire de kurde sorani à l’Inalco.

Portrait de Kamuran Bedirxan. Celadet Bedirxan (dir.), Firat Cewerî (ed.), Hawar, Stockholm, Nûdem, 1998. Collections de la BULAC, 23XK 829.4 BED.
Particularismes éditoriaux
Le kurde n’a été, au XXe siècle, langue officielle d’aucun État indépendant. Son usage, longtemps interdit en Turquie, était largement réprimé en Iran, en Irak et en Syrie. Ce contexte très défavorable n’a pu permettre le développement de l’édition dans cette langue et a entraîné la destruction ou la dispersion d’une grande partie des collections privées de manuscrits et d’anciens imprimés kurdes1. Depuis le début du XXIe siècle, ces conditions politiques ont évolué favorablement en Irak, où le kurde est désormais langue officielle aux côtés de l’arabe. Si, en Turquie, la situation s’est un peu assouplie, permettant l’ouverture de maisons d’édition en langue kurde, leurs activités sont sous haute surveillance et subissent parfois la répression des autorités. En Iran, le persan demeure la seule langue officielle et d’éducation, tandis qu’en Syrie, la guerre civile en cours depuis 2011 a relégué les travaux linguistiques et éditoriaux loin dans la liste des priorités, y compris au sein de la Fédération démocratique du nord de la Syrie (FDNS), où le kurde est langue officielle aux côtés de l’arabe, de l’arménien, de l’assyrien et du turc.
Ces circonstances particulières ont largement joué sur le développement de l’édition en kurde, kurmandji comme sorani. Ainsi, pour ce qui est du kurmandji, l’ensemble de la littérature du XXe siècle s’est développée hors de Turquie, où vivent pourtant 80 % des kurmandjophones : en Syrie mandataire, avec notamment le poète kurde majeur du XXe siècle, Cigerxwîn (1903-1984), mais aussi dans une large mesure parmi les Kurdes d’ex-URSS et, notamment, d’Arménie, avec le périodique kurde Rya T’eze (« Voie nouvelle », environ 4 800 numéros publiés entre 1930 et 2003) et les programmes kurdes de la Radio d’Erivan (Radyoya Êrîvanê). C’est aussi dans ce pays qu’est paru le premier roman kurde, Şivanê kurmanca (« Le berger kurde ») d’Erebê Şemo (1897-1978), en 1935. L’ensemble de cette production a été publiée en caractères cyrilliques, la rendant difficile d’accès aux lecteurs kurdes contemporains ; toutefois, ces ouvrages sont, depuis quelques années, transcrits et publiés par des maisons d’éditions kurdes en Turquie. C’est souvent sous cette forme qu’ils ont trouvé leur place dans les collections de la BULAC ; citons ainsi le classique du roman kurde moderne Dê û dêmarî (« Mère et marâtre », 1986) d’Egîdê Xudo (1927-1999), ou encore les trois volumes des œuvres complètes du poète Fêrikê Ûsiv (1934-1977).
- 1 Voir Farangis Ghaderi, « A History of Kurdish Poetry », dans The Cambridge History of the Kurds, dir. Hamit Bozarslan, Cengiz Gunes, Veli Yadirgi, Cambridge : Cambridge University Press, 2021, p. 708-709.

Mosaïque de couvertures d'albums de la chanteuse kurde Eyşe Şan. Kakşar Oremar, Prensesa bê tac û text : Eyşe Şan, Amed, Weşanên Şaredariya bajarê mezin a Amedê, 2015, dernière page de l'ouvrage. Collections de la BULAC, 23XK 780.1 ORE.
La Suède, autre terre d’accueil et d’exil, a vu l’éclosion, dans les années 1980 et 1990, d’une nouvelle génération d’écrivains kurdes qui ont permis la popularisation de la littérature kurde kurmandji au-delà des seuls cercles intellectuels. Parmi les grandes figures de cette période, citons Mehmed Uzun (1953-2007), Firat Cewerî (né en 1959), ou encore Hesenê Metê (né en 1957), dont les ouvrages ont été réédités en Turquie à partir des années 2000. La libéralisation relative des mesures pesant sur l’expression en langue kurde a en effet permis la création de maisons d’édition, telles Avesta, Lîs ou Nûbihar, qui, outre des traductions et rééditions de classiques anciens ou modernes, publient aussi les écrivains contemporains issus de tous les horizons de la diaspora et dont les œuvres appartiennent à une variété de genres et de styles. Bien que l’appropriation de l’écriture littéraire par les femmes soit un phénomène remarquable mais récent et encore minoritaire dans l'édition kurde, les collections de la BULAC rendent compte de cette évolution. Pour compléter ce paysage de la littérature en kurde kurmandji, signalons aussi l’existence d’une production en caractères arabo-kurdes au Kurdistan d’Irak, dans la région kurmandjophone de Duhok, une production encore peu représentée dans les collections.

Bakhtiar Ali, Le dernier grenadier du monde, trad. Sandrine Traïdia, Paris, Éditions Métailié, 2019. Collections de la BULAC, BULAC MON 8 42161.
L’édition en kurde sorani a, dès le sortir de la Première Guerre mondiale, connu un essor en Irak mandataire, que ce soit dans la région du Kurdistan, notamment à Hewlêr (Erbil) et Sulaymaniyah, ou bien à Bagdad1. Une première génération de poètes, inspirés par les grands classiques kurdes, commence à être active dès le tournant du XXe siècle, avec la figure fondatrice de Hacî Qadirî Koyî (1817-1897), connu sous le nom de Xaniyê duyem (« second Xanî »)2. Dans son sillage, d’autres poètes comme Pîremêrd (1867-1950), ou Dildar (1918-1948), auteur de l’hymne national kurde Ey Reqîb (« Ô ennemi »)3, reprendront les thèmes de l’éveil du peuple et de la conscience nationale, chers aux élites intellectuelles kurdes de cette époque.
C’est dans la seconde moitié du XXe siècle que la prose en kurde sorani a commencé à se développer. Le premier roman écrit en ce dialecte est Janî gel (« Mal du peuple », 1956) d’Ibrahim Ahmad, également connu comme fondateur, avec Alaaddin Sajjadi, et rédacteur en chef du périodique Gelawêj (« Étoile du berger »), publié à Sulaymaniyah entre 1939 et 19494. Depuis, la littérature kurde en sorani poursuit son essor et, parmi ses représentants marquants, on peut mentionner le romancier Bakhtiar Ali (né en 1966), et le poète Shêrko Bêkes (1940-2013). Il est à souligner que si l’édition en kurde sorani s’est majoritairement développée au Kurdistan d’Irak, en raison notamment des circonstances politiques, elle a été largement enrichie par l’apport de Kurdes d’Iran comme l’historien Huznî Mukriyanî (1893-1947), ou encore le poète et traducteur Hejar (1921-1991).
La littérature kurde connaît donc, depuis deux décennies, une période de vitalité sans précédent et cet essor se traduit par la publication de traductions en langues étrangères, notamment en anglais. Les traductions françaises d’œuvres kurdes demeurent encore peu nombreuses, mais il faut signaler l’existence de la collection « Lettres kurdes », chez l’Harmattan. Autre développement notable, la littérature produite par des Kurdes de la diaspora dans les langues des pays où ils résident, notamment en allemand, en anglais et en français. Les auteurs pionniers de cette évolution sont pour la plupart turcs et syriens d’origine kurde comme Yaşar Kemal (1923-2015) ou Salim Barakat (né en 1951).
- 1 À ce propos, voir Michiel Leezenberg, « Vernacularization as Governmentalization: the Development of Kurdish in Mandate Iraq », dans Arabic and its Alternatives: Religious Minorities and their Languages in the Emerging Nation States of the Middle East (1920-1950), dir. Heleen Murre-van den Berg, Karène Sanchez Summerer, Tijmen C. Baarda, Leyde : Brill, 2020, p. 50-76.
- 2 Voir Kadri Yıldırım, Xaniyê duyem : Hacî Qadirê Koyî, Istanbul : Avesta, 2016.
- 3 Voir Kamal Maarof, La vie et l’œuvre du poète kurde Dildar, Paris : s.n., 1989.
- 4 Ibrahim Ahmad fut également une figure de premier plan du mouvement politique kurde, notamment actif dans la fondation de l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK) en 1975.

Michael Knights et Wladimir van Wilgenburg, Accidental Allies: The U.S.-Syrian Democratic Forces Partnership Against the Islamic State, Londres, New-York, I.B. TaurisWashington, D.C., The Washington Institute for Near East Policy, 2022. Collections de la BULAC, 23XK 327 KNI.
Sur le plan des études académiques, il faut, là encore, souligner le rôle moteur joué par l’URSS. Ainsi, l’on peut qualifier l’ancienne capitale impériale, Saint-Pétersbourg, de centre mondial des études kurdes pour la majeure partie du XXe siècle1. C’est notamment au Cabinet d’études kurdes de l’Institut des manuscrits orientaux, fondé en 1959 et actif jusqu’en 2005, qu’ont étudié et enseigné des figures de premier plan, souvent spécialistes de littérature, comme Margarita Rudenko (1929-1976), Qanatê Kurdo (1909-1985), ou encore l’historien et folkloriste Celîlê Celîl (né en 1936)2. Par ailleurs, le Cabinet kurde joua un rôle fondamental dans la transmission de cette connaissance au Kurdistan même, en formant des chercheurs éminents comme Merûf Xeznedar (1930-2010), Izzeddîn Mistefa Resûl et Kemal Mezher Ahmed.
L’existence de ce Cabinet, dans un contexte d’affrontement entre l’OTAN et le Bloc soviétique au Moyen-Orient, tout comme sa suppression au début des années 2000, montrent à quel point les études kurdes demeurent, en l’absence d'un État susceptible de les promouvoir, tributaires de considérations géopolitiques régionales et mondiales dont la nature dépasse le cadre de cette présentation. C’est avec cela à l’esprit qu’il faut envisager l’essor actuel des études sur les Kurdes menées dans les universités européennes, états-uniennes, mais aussi sud-américaines et asiatiques. Si cet essor ne conduit que rarement à la constitution de sections ou de départements kurdes, l’Inalco demeurant, à cet égard, une des rares exceptions, des collections académiques consacrées aux Kurdes commencent à voir le jour chez les éditeurs scientifiques et universitaires (Brill, I.B. Tauris, Syracuse University Press).
Par ailleurs, les dialectes kurdes minoritaires en termes de nombre de locuteurs, à savoir le zazaki, le gurani et les différents dialectes kurdes méridionaux demeurent faiblement représentés au sein des collections. Quelques tentatives depuis les années 1990, portées en particulier par le groupe Vate, fondé en Suède en 1996, ont permis la publication d’une vingtaine de textes en zazaki (à noter toutefois la présence dans les collections de la BULAC du périodique culturel trimestriel Vate). La production éditoriale en gurani est équivalente en nombre de volumes : au-delà de quelques éditions de textes classiques et de contes folkloriques publiées en France, notamment par le savant franco-kurde Mohammad Mokri (1921-2007), il existe encore peu de documentation.
- 1 Voir Michiel Leezenberg, « Soviet Kurdology and Kurdish Orientalism », dans The Heritage of Soviet Oriental Studies, dir. Michael Kemper et Stephan Conermann, Londres : Routledge, 2011, p. 86-102 ; aussi Mohammad Mokri, « Kurdologie et enseignement de la langue kurde en URSS », L’Ethnographie. Revue de la Société d’ethnographie de Paris (1963), p. 71-105.
- 2 Voir Zare A. Yusupova, « Kurdish Studies at the IOM (1959—2005) », trad. Alexander V. Zorin, Saint Petersburg Institute of Oriental Manuscripts. [En ligne]
Points saillants et axes de développement du fonds
Les axes de développement de ce fonds sont clairement définis. L’enrichissement du corpus en kurde sorani est une priorité. Les ouvrages issus du don de M. Halkawt Hakem contribueront également à étoffer cette partie des collections dès que leur traitement sera finalisé. L’acquisition de documentation dans les dialectes kurdes moins représentés, au premier chef desquels le zazaki et le gurani, ainsi que des ouvrages publiés en kurmandji dans les alphabets cyrillique et kurdo-arabe, est une autre voie à prioriser afin que les collections de la BULAC reflètent au mieux la diversité éditoriale en langue kurde et et l’expansion des nouveaux objets de recherche du champ des études kurdes.
Bibliographie
- Blau, Joyce, « Une perspective historique sur les études kurdes. Entretien avec Joyce Blau », European Journal of Turkish Studies 5 (2006), numéro spécial Power, ideology, knowledge – deconstructing Kurdish Studies. [En ligne]
- Ghaderi, Farangis, « A History of Kurdish Poetry », dans The Cambridge History of the Kurds, dir. Hamit Bozarslan, Cengiz Gunes, Veli Yadirgi, Cambridge : Cambridge University Press, 2021, p. 708-709.
- Labrousse, Pierre (dir.), Langues’O, 1795-1995 : deux siècles d’histoire de l’École des langues orientales, Paris : Éditions Hervas, 1995.
- Maarof, Kamal, La vie et l’œuvre du poète kurde Dildar, Paris : s.n., 1989.
- Michiel Leezenberg, « Soviet Kurdology and Kurdish Orientalism », dans The Heritage of Soviet Oriental Studies, dir. Michael Kemper et Stephan Conermann, Londres : Routledge, 2011, p. 86-102.
- Michiel Leezenberg, « Vernacularization as Governmentalization: the Development of Kurdish in Mandate Iraq », dans Arabic and its Alternatives: Religious Minorities and their Languages in the Emerging Nation States of the Middle East (1920-1950), dir. Heleen Murre-van den Berg, Karène Sanchez Summerer, Tijmen C. Baarda, Leyde : Brill, 2020, p. 50-76.
- Mokri, Mohammad, « Kurdologie et enseignement de la langue kurde en URSS », L’Ethnographie. Revue de la Société d’ethnographie de Paris (1963), p. 71-105.
- Sheyholislami, Jaffer, « The History and Development of Literary Central Kurdish », dans The Cambridge History of the Kurds, dir. Hamit Bozarslan, Cengiz Gunes, Veli Yadirgi, Cambridge : Cambridge University Press, 2021, p. 633-662.
- Tejel, Jordi, « Les constructions de l’identité kurde sous l’influence de la ‘connexion kurdo-française’ au Levant (1930-1946) », European Journal of Turkish Studies 5 (2006), numéro spécial Power, ideology, knowledge – deconstructing Kurdish Studies. [En ligne]
- Winter, Stefan, « The other ‘Nahḍah’: The Bedirxans, the Millîs and the Tribal Roots of Kurdish Nationalism in Syria », Oriente Moderno 86/3 (2006), p. 461-474.
- Yıldırım, Kadri, Xaniyê duyem :Hacî Qadirê Koyî, Istanbul : Avesta, 2016.
- Yusupova, Zare A., « Kurdish Studies at the IOM (1959-2005) », trad. Alexander V. Zorin, Saint Petersburg Institute of Oriental Manuscripts. [En ligne]
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