Publié : 11/08/2022, mis à jour: 11/08/2022 à 16:00
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Double

Qu’ils viendront je dis, pas de doute ça hein. Et vous y croyez encore vraiment vous ? J’en suis sûr moi qu’y reviennent. Bientôt ou plus tard mais y vont revenir.

Piazza d'Italia, Giorgio de Chirico (1913). Museo Nacional de Bellas Artes (Buenos Aires), Gandalf's Gallery-flickr.com.

Piazza d'Italia, Giorgio de Chirico (1913). Museo Nacional de Bellas Artes (Buenos Aires). Gandalf's Gallery-flickr.com (CC BY-NC-SA 2.0).

Florian Targa

Qu’ils viendront je dis, pas de doute ça hein. Et vous y croyez encore vraiment vous ? J’en suis sûr moi qu’y reviennent. Bientôt ou plus tard mais y vont revenir.

 

L’homme fixa la route. Elle incisait la forêt en une trouée brute, le résultat d’un geste précis, délicat et sûr. Une ligne droite qui faisait ployer les arbres et les blés sous le poids de l’attente.

 

Je ne voudrais pas vous heurter, mais j’en doute fort. Regardez, cela fait déjà une demi-heure que je suis là, et personne, rien, aucun capot à l’horizon. Ça devrait vous faire réfléchir. Toi tu sais pas, ça non tu sais pas l’attente c’est quoi. On attend pas pour un truc qui arrive hein, on attend parce qu’on aime ça là, être là tranquille. On peut fumer des clopons, ça ouais. Mais alors vous avez l’espoir que… On s’en fout l’espoir, j’ai pas dit espoir moi. Je fume peinard. Toi tu jacasses. L’espoir on s’en tricote des chaussettes pour l’hiver, quand y a plus rien, plus personne, et que toi aussi t’hibernes. Le bon temps voilà.

 

L’homme baissa les yeux. L’autre était buté, il n’écoutait rien. Un dialogue de sourd. Il réalisa que son lacet était défait. Il se courba péniblement.

 

Vous avez mal au dos ? Je connais un très bon médecin, en ville. Dites-lui que vous venez de ma part, il vous fera un prix. Des gratte-papiers et des tire-sous, va au diable et oublie-les. Le dos va bien va, mais c’est ma tête qui tape à force de t’écouter c’est elle qu’a besoin de soulager. Oh, mais sachez que pour ça aussi je connais un…

 

L’homme s’interrompit brusquement. Un sentiment trouble l’avait envahi. Il connaissait cet homme, l’autre. Où ? Il avait oublié. Il fit quelques pas vers la maison. Sa mémoire glissait sur les cicatrices du temps, et sa main vers son fusil derrière la porte. Mouvement rapide et brusque : il se retourne, braque son arme vers l’inconnu. Sors là ! Montre-toi tiens !

 

Dehors, la forêt restait sourde à ses appels. Le vent sifflait sans inquiétude. La route était vide. La station était vide. Les pompes aussi. Tout était vide. Personne ne viendrait, rien. L’homme s’assit. Il pleura ses espoirs défaits. Il n’était que le miroir solitaire de lui-même.

 

C’est dur la solitude, vous ne trouvez pas Monsieur ? Moi, je vous l’avoue bien volontiers, elle me pèse. Vous croyez que des gens vont finir par venir ?

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