El Camino
La tente est posée sur du gazon, tondu par un robot. Il t’a réveillée quand il a commencé à faire des tours dans le jardin.

Dessin original de Lucie Longuet.
Annabelle Martella
La tente est posée sur du gazon, tondu par un robot. Il t’a réveillée quand il a commencé à faire des tours dans le jardin. Je crois qu’il a commencé à sept heures du matin. Méthodique, il rase tout sur son passage : les mauvaises herbes, les pissenlits, les coquelicots. Il ne fait que des lignes droites. Parfois, il se prend un arbre... ça te fait rire, tu as même décidé de le suivre. Tu lui cours après, tu lui jettes de l’herbe sur le dos puis tu lui craches dessus en riant.
On les a déjà croisés ces gens, tu leur dis bonjour en passant. Ils répondent « El Camino ! ». On les imite puis on pouffe de rire. Ils sont vieux et mangent du saucisson sur une table de pique-nique. On a l’impression qu’ils se débattent dans un nuage avec leur couteau suisse. Leur table est comme au milieu du vide et le chemin que l’on suit, on en voit même pas la fin : il y a trop de brouillard !
Il fait tellement chaud. Les fleurs de ton foulard dégoulinent sur ton visage. Tu t’arrêtes, les mains posées sur les genoux, juste en face d’une petite chapelle où une grosse dame étend son linge. Son chien qui ressemble à Milou lui tourne autour. Elle lave ses vêtements en face de la Vierge et plus rien n’existe pour elle.
Tu manges des fruits secs, ça te rend heureuse de tomber sur des bouts de banane séchée. Moi, je ne mange pas de banane à cause de mon père. Quand il était petit, il en a vomi à une fête foraine et depuis qu’il m’a raconté cette histoire, tout me dégoûte dans ce fruit : son odeur, sa texture et même les gens qui en mangent. Tu me dis, « essaie, tu vas aimer. » Je croque dedans, ce n’est pas mauvais. En face de nous, la plaine s’étend en tendresse.
Tu as froid dans la tente. Tu n’oses pas me réveiller mais je ne dors pas. J’ai l’impression de coucher dans un marécage. Je rêve d’humidité puis je vois mon père en train de traiter le jardin de mon enfance avec un pulvérisateur géant sur le dos. Vivement le matin... Je me blottis contre toi.
Dessin original de Lucie Longuet.