
Hommage à Jean Malaurie, précurseur des études arctiques et défenseur des Inuit
Jean Malaurie (1922-2024), géographe explorateur des terres arctiques et camarade des Inuit, s’en est allé rejoindre les âmes du paradis blanc de Thulé le 5 février 2024. Scientifique et humaniste, Jean Malaurie s'est avéré pionnier dans bien des domaines : études arctiques, interdisciplinarité, affirmation de la subjectivité et de l'engagement du savant, respect de l'équilibre entre les hommes et leur environnement, droits des peuples autochtones. Père du Centre d'études arctiques (1957-2007), il est aussi à l'origine de la fondation du laboratoire du CEARC - « Cultures, Environnements, Arctique, Représentations, Climat » en 2009-2010 et de l'Institut de recherches arctiques Jean Malaurie en 2020, institutions qui conservent son œuvre et la poursuivent actuellement.

Jean Malaurie à côté du bateau hydrographique soviétique, au large d'Ouélen, durant son expédition en Tchoukotka, août 1990 (Terre Humaine, Wikimedia Commons).
Spécialiste de géomorphologie, Jean Malaurie a été formé à l’Institut de géographie de Paris sous l’égide d’Emmanuel de Martonne. Au sortir de ses études, il a participé à plusieurs missions d’exploration scientifique, au Groenland sous la direction de Paul-Émile Victor, puis dans le Hoggar algérien sous l'égide du CNRS. Quarante ans plus tard, toujours fasciné par les régions de l’Arctique, il s’est consacré à la Tchoukotka sibérienne. Expert en géographie physique, il procéda, lors de ces expéditions, au relevé cartographique et à l’étude de l’environnement naturel de terres encore peu connues, voire inconnues des Occidentaux.
Un savant humaniste
Jean Malaurie était de ces savants dont l’esprit curieux transcende les barrières des disciplines académiques. Loin de se cantonner à la géographie physique, il a appris, au contact des Inuit, dont il maîtrisait la langue et partageait le quotidien, à regarder le monde, la nature et les hommes qui l'entouraient avec d'autres yeux que ceux de l'Occident. De cette expérience tout à la fois humaine et scientifique, il a tiré le constat qu'on ne comprend jamais aussi bien un environnement et ses communautés qu'en faisant travailler ensemble toutes les sciences qui se consacrent à leur étude. Dans le sillage de l'École des Annales, Jean Malaurie fut ainsi l'un des plus fervents partisans de l'interdisciplinarité. Encouragé et soutenu par Lucien Febvre et Fernand Braudel, mais également par Claude Lévi-Strauss, il occupa la première chaire de géographie polaire de l'École pratique des hautes études à partir de 1957, avant de fonder le Centre d'études arctiques en 1958, la revue Inter-Nord en 1960, puis l'Académie polaire d'État de Saint-Pétersbourg en 1992 pour la formation des peuples du nord de la Russie. Il ne cessa, au sein de ces institutions, d'œuvrer en faveur du dialogue entre les différentes disciplines, qu'elles appartiennent aux sciences dures ou aux sciences humaines et sociales.
Un homme de plume
Écrivain et éditeur, il alliait rigueur scientifique et amour des mots et des belles lettres. De ses missions au Groenland, il trouva matière à l'écriture d'un livre engagé : Les Derniers Rois de Thulé. Publié en 1955, l'ouvrage inaugure la collection « Terre humaine », créée par son auteur aux éditions Plon, et affirme le droit à dire « je », à exprimer sa perception sensible et subjective, et non plus seulement froidement objective, du monde et de ses habitants. En fondant cette collection, Jean Malaurie entendait donner un espace aux minorités et aux peuples autochtones, aux traditions et aux cultures orales marginalisées et invisibilisées. Il entendait rendre accessible la connaissance non seulement de grands savants, ethnographes, explorateurs et écrivains, mais aussi de communautés oubliées. « Terre humaine » accueillit ainsi les Tristes Tropiques de Claude Lévi-Strauss, Le Cheval d'orgueil de Pierre-Jakez Hélias ou encore L'Été grec de Jacques Lacarrière, mais aussi les Carnets d'enquête d'Émile Zola sur le milieu ouvrier et Les Immémoriaux, création littéraire de Victor Segalen sur la société polynésienne. S'adresser à tous pour décentrer le regard des Occidentaux sur l'Autre, l'Étranger, et montrer toute la richesse de la diversité des cultures face à l'homogénéisation qu'engendre la mondialisation, telles sont les missions de la collection « Terre humaine » depuis sa fondation.
L'esprit de résistance
Jean Malaurie était surtout de ces hommes dont les valeurs humanistes sous-tendent l’esprit de résistance. Cette résistance, il l'avait exercée tôt en refusant, en pleine occupation allemande, le Service du travail obligatoire, entrant ainsi dans la clandestinité. Après la guerre, sa rencontre avec les communautés inuit et le constat des menaces pesant sur leur environnement l'avaient sensibilisé au danger de disparition des peuples autochtones lorsque ceux-ci se trouvent confrontés aux appétits économiques et territoriaux des grandes puissances occidentales, notamment des États-Unis. Dénonçant les méfaits de la mondialisation, appréhendée comme processus d'homogénéisation des cultures et d'exploitation à outrance de la nature, Jean Malaurie n'eut de cesse d'alerter sur les risques de déséquilibres environnementaux et d'assimilation des minorités à la culture dominante en terres arctiques. Afin de préserver les droits des peuples autochtones, il plaida notamment en faveur d'un enseignement mieux adapté aux jeunes inuit et d'une autonomie du Nunavik, au Québec. Après avoir été consultant sur l'Arctique auprès des gouvernements des États-Unis, du Canada, du Danemark et de la Russie, il fut nommé, en 2007, ambassadeur de bonne volonté à l'UNESCO pour les régions arctiques et les peuples circumpolaires. Jusqu'à sa mort, que ce soit dans le concert des nations ou à la présidence de l'Uummannaq Polar Institute du Groenland, Jean Malaurie continua de faire entendre la voix des communautés autochtones et d'en défendre les droits et la culture.
Publications de Jean Malaurie disponibles à la BULAC


Arctique horizon 2000

Arctica

Développement économique de l'Arctique et avenir des sociétés esquimaudes

Hummocks

Bibliothèque arctique et antarctique
Ethnologie et anthropogéographie arctiques

Arctica

Hummocks
La collection « Terre humaine »

Afrique ambigüe

Chronique des Indiens Guayaki

Afrique ambiguë

Aimables sauvages

Carnets indiens
Afrique ambiguë͏
Baba de Karo

Carnets d'enquêtes

De mémoire indienne

2019 a été proclamée par l’Assemblée générale des Nations unies « Année internationale des langues autochtones », afin de préserver, promouvoir et revitaliser ces langues, devant le rythme alarmant de leur disparition. À cette occasion, la BULAC vous donne à...
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