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La BULAC invitée du Festival VO-VF - La parole aux traducteurs, du 10 au 12 octobre 2014

Organisateur(s) :BULAC

Dans le cadre de sa carte blanche au Festival VO-VF, la BULAC propose une carte blanche au traducteur André Markowicz et une rencontre sur l'autotraduction avec l'écrivain Vassilis Alexakis.

La BULAC invitée du Festival VO-VF - La parole aux traducteurs, du 10 au 12 octobre 2014

André Markowicz et Vassilis Alexakis

Quand : 9 octobre 2014 > 12 octobre 2014 Où : Auditorium du Pôle des langues et civilisations, Gif-sur-Yvette

En continu pendant la durée du festival VO-VF...

Projection du documentaire sur le projet BULAC , « Trésors des langues du monde », réalisé par Nathalie Alonso Casale

À l'origine du projet BULAC des dizaines de fonds traitant des langues et des civilisations éparpillés aux quatre coins de la capitale des centaines de milliers d'ouvrages et de documents uniques pour certains, inaccessibles pour d'autres, précieux, fragiles, oubliés, détériorés parfois, dévorés par le temps, introuvables. À l'origine une conviction et une utopie. La conviction : tout ce savoir éparpillé est un trésor, l'utopie : réunir tous ces fonds dans un lieu unique à la fois ouvert sur le monde et qui rayonnera à travers le monde... [17 minutes, Titanic productions 2012].

Ambiance du Festival VO-VF 2019

En donnant la parole à Hélène Pourquié et Pierre Morize, fondateurs du Festival VO-VF, de la traduction littéraire, de Gif-sur-Yvette, la BULAC souhaitait célébrer pour son dixème anniversaire, ce partenariat pérenne, débuté en 2014. La carte blanche accordée à la...

Velikoknâžeskaâ i carskaâ ohota na Rusi

La langue russe comptait en 2017 plus de 250 millions de locuteurs dans le monde. Le domaine russe de la Bibliothèque universitaire des langues et civilisations (BULAC) offre aux slavisants un ensemble documentaire de référence. Le fonds russe de la BULAC...

​ 67-74 antifasistika

Le domaine grec de la BULAC se compose de près de 20 000 ouvrages provenant à la fois des collections de la Bibliothèque interuniversitaire des langues orientales, de dons et d’acquisitions faites par la BULAC. Il rassemble des documents issus...

Autotraduction : une rencontre avec l'écrivain Vassilis Alexakis

Organisateur(s) :BULAC

La BULAC propose une rencontre sur le thème de l'autotraduction avec l'écrivain Vassilis Alexakis dont l'œuvre, dans ses versions grecque et française, est présente dans les collections de la BULAC.

Grand habitué des aller-retours entre le grec et le français, cet aficionado s'est mis un jour en tête d'apprendre une troisième langue, le sango. Vassilis Alexakis qui se définit comme Grec par ses parents et Français par ses enfants a aussi coutume de dire : « j'ai une langue pour rire qui est le français, une langue pour pleurer qui est le grec et une troisième le sango, l'idiome de la République centrafricaine, pour jouer ». Comme d'autres noms prestigieux avant lui, tels que James Joyce, Vladimir Nabokov, Julien Green ou Samuel Beckett, Vassilis Alexakis a fait le choix de l'autotraduction, un exercice qu'il considère comme faisant partie intégrante de son travail d'écriture. Au cours de cette rencontre, il lèvera le voile sur sa pratique de la traduction tout en abordant une question essentielle à ses yeux : « Y a-t-il une vie en dehors du roman ? ».

« Verbatim » Propos recueillis par Clotilde Monteiro

Écrire en français

« Avant d'écrire mon premier roman, j'avais l'expérience du français grâce au journalisme. J'écrivais tous les jours, l'écriture était naturelle pour moi. C'est la raison pour laquelle mes premiers romans sont en français. Et j'ai pu remarquer que la part du dialogue y était plus importante. Elle s'est réduite par la suite. Lorsqu'on vit dans un pays étranger, le langage qui nous est le plus familier est la langue parlée, la langue qu'on entend partout, la langue de la rue. Et je comprends Beckett ou Ionesco, car, dans ce cas, il y a une facilité à écrire du théâtre. De plus, on a cet avantage par rapport aux Français, nous les étrangers, c'est qu'on n'a pas subi les classiques français à l'école. Mes rapports avec le français étaient donc assez détendus. Mais je n'ai pas échappé aux classiques grecs ! et c'est en grec que je faisais des fautes d'orthographe. »

Écrire en grec

« J'avais donné une longue interview à une radio belge dont j'avais fait écouter l'enregistrement à ma mère en Grèce. Elle s'était mise au français car elle voulait pouvoir suivre mes activités. À la fin de l'entretien ma mère me dit, "C'est très intéressant ce qu'on entend mais quand est-ce que tu vas parler ?" Ça a été un choc pour moi que ma mère ne me reconnaisse pas dans cette langue. Je me suis dit alors qu'il fallait absolument écrire quelque chose en grec. Et je vous assure que ça a été difficile car je n'avais aucune expérience de l'écriture littéraire en grec. Par ailleurs, la langue grecque avait changé depuis que je m'en étais éloigné. Entre temps, après la chute des colonels, le pays s'était ouvert et la langue avait sensiblement rajeuni. Avant d'écrire en grec, j'ai eu besoin d'enregistrer les gens dans la rue, les cafés, à la poste, comme je l'avais fait auparavant en France pour maîtriser le français. J'ai dû faire ça pour réapprendre ma langue maternelle. Talgo est mon quatrième roman et mon premier roman écrit en grec. »

Aller-retour

« Donc j'étais un auteur français et j'avais écrit un livre en grec, Talgo, que j'avais moi-même traduit en français. À partir de là, je suis devenu inclassable pour les maisons d'éditions et les librairies. Et la question continue de se poser car, depuis, j'ai traduit tous mes livres, qu'ils aient été écrits d'abord en grec ou d'abord en français. »

Choix de la langue de départ

« Le choix de la langue dépend du sujet. Si l'histoire se passe à Paris par exemple, il m'est plus facile d'écrire en français. J'entends la voix des personnages en français. Je ne vais pas faire parler en grec la concierge qui va tous les jours au café à coté de chez moi. On se demanderait comment cette femme comprend le grec. De la même façon, je ne peux pas et n'ai pas envie de faire parler en français deux pêcheurs grecs qui discutent sur un port. Ils auraient l'air de fonctionnaires de la Communauté européenne ! »

L'autotraduction, c'est fatiguant

« Donc j'écris en langue originale et je traduis ensuite le livre dans l'autre langue. Je mets environ deux ans à écrire un roman et le lendemain du jour où je l'ai terminé, il me faut tout recommencer depuis le début dans une autre langue, sachant que je rencontre les mêmes problèmes de traduction que tout le monde. C'est fatiguant mais c'est un excellent exercice. En se traduisant soi-même on prend une distance avec le texte original. On devient un peu étranger à son propre texte et on le juge plus sévèrement. »

C'est la faute au traducteur !

« Il ne faut pas toujours reprocher aux traducteurs de mal traduire. J'ai pu constater que ce sont les passages les mieux écrits qui sont les plus faciles à traduire. Le traducteur ne peut pas arranger le coup si le texte est mauvais. »

Prolonger le travail d'écriture

« La traduction me permet de prolonger le travail d'écriture. En traduisant mon livre, je peux améliorer les passages les plus faibles. Et ces améliorations, je les reporte ensuite dans la version originale. Car en effet je ne traduis pas un texte imprimé mais le manuscrit. Je peux changer un tas de choses et j'en profite ! Parce que toutes les langues ont des faiblesses. Certaine choses passent très bien dans une langue et pas dans la langue de traduction. C'est une tension continue sur le texte pour l'améliorer. Mais l'auto-traduction ne me conduit pas à faire un autre livre. Ce n'est pas la langue qui me dicte le livre. C'est moi qui le dicte à la langue. Les langues n'écrivent rien, ce sont les auteurs qui font le travail. »

Deux langues qui se connaissent bien

« Il faut dire que le grec et le français sont des langues qui se connaissent depuis très longtemps. Il y a beaucoup de mots grecs en français et beaucoup de mots français en grec. C'est assez drôle de remarquer que tous les Français meurent d'une maladie grecque quand même ! La cirrhose est grecque, le cancer est grec, l'hémorragie est grecque, et l'endroit où vous serez enterrés est grec : cimetière veut dire l'endroit où l'on se repose. Alors qu'en Grèce par exemple, le vouvoiement n'existait pas. C'est en traduisant Voltaire qu'on a dû vouvoyer les personnages car c'était dans le texte français. Et à partir de là, le vouvoiement a été introduit en grec. »

Traduction et intraduisibles

« Quand je traduis vers le grec ou vers le français, je dirais qu'il y a un tiers des phrases qu'on peut traduire mot à mot, un tiers des phrases pour lesquelles il faut inverser l'ordre des mots et un tiers des phrases qui sont difficiles à traduire. Et lorsqu'il faut donner des précisions (par exemple : le personnage de Guignol ou Karaghiósis, la figure du théâtre d'ombres grec), je les incorpore dans le texte. Je ne fais pas appel aux notes de bas de page. Sinon, j'ai l'impression d'avoir un trou dans ma poche et que les mots s'échappent par là.

On rencontre en effet des mots difficiles à traduire avec lesquels il faut quelquefois composer. Prenons Les Misérables de Victor Hugo, qui a été traduit par Les Affreux en grec. Il n'existe pas de mot grec qui exprime le double sens de misère et de crime. Il y a là une difficulté objective mais ce n'est pas un problème très grave. Dans ce cas, on essaie de rendre le sens par une approximation. Les approximations ne nuisent pas aux bons textes. »

C'est la Sorbonne qui vous parle !

« Quelques fois quand j'arrive de l'étranger et que je prends un taxi à Roissy, je suis étonné d'entendre les chauffeurs de taxi parler si bien le français. Dès que vous faites une erreur ils vous corrigent. Ce sont des instituteurs qui conduisent des voitures ! Une fois j'ai demandé ma note à un chauffeur de taxi qui m'a répondu, "C'est une fiche que vous voulez ?" C'était la Sorbonne qui me parlait ! »

L'important, c'est le roman : à propos des Mots étrangers

« Un jour, je me suis réveillé en me disant que ce serait un défi formidable de raconter l'histoire de quelqu'un vivant à Paris qui déciderait d'apprendre une langue africaine sans raison particulière. Après tout, on peut apprendre une langue sans justification, comme on écoute de la musique, pour le plaisir. Je me disais que ce serait amusant de raconter le cas d'un personnage qui tout en apprenant cette langue l'enseignerait à son lecteur. Ce qui permettrait de terminer le roman dans cette langue.

À partir de là, j'ai eu la chance de rencontrer le linguiste Luc Bouquiaux, un des grands spécialistes des langues africaines, qui a passé quarante ans de sa vie chez les Pygmées. Il m'apprit qu'il y avait plus de 1 200 langues parlées en Afrique. Alors laquelle choisir ? Désemparé, j'ai fini par lui demander quel était le centre géographique de l'Afrique. Il me dit que c'était plus ou moins Bangui, la capitale de la République centrafricaine. On y parle le sango. Je lui ai demandé s'il existait un dictionnaire français-sango. Il m'a dit, "en effet, c'est d'ailleurs moi qui l'aie écrit". J'ai donc commencé à apprendre cette langue avec son dictionnaire.

La littérature vous oblige à faire des choses que vous n'aviez pas vraiment prévues. C'est ainsi que j'ai réalisé au milieu du livre que j'étais en train d'écrire qu'il était indispensable que j'aille en Centrafrique pour entendre cette langue et vérifier si on me comprenait. En débarquant à Bangui un jour à 7 heures du matin, je suis tombé sur un douanier et je lui ai parlé en sango. Non seulement il m'a compris mais il a été stupéfait et enchanté. Il s'est mis à me parler longuement et à une vitesse incroyable. Peu de temps après, j'ai été invité à la télévision locale car tout le monde l'a su. Et je suis passé comme un phénomène. La seule ville au monde où je suis vraiment connu, c'est Bangui ! »

Les langues gagnent à se connaître et à se parler

« Il y a des rivalités entre les nations mais pas entre les langues. Toutes les langues ont beaucoup donné aux autres langues et leur ont beaucoup pris. Il y a une centaine de langues représentées en français dans le dictionnaire. C'est-à-dire que l'on peut rédiger un texte en français uniquement avec des mots arabes ou grecs par exemple. C'est une aberration d'avoir fait la guerre aux langues régionales en France. Il n'y a pas de trahison dans le domaine des langues.

En étudiant une nouvelle langue, comme je l'ai fait avec le sango, je ne me suis pas éloigné de mes deux autres langues. Au contraire, j'avais l'impression de réviser mon grec et mon français. Ou bien les choses sont semblables dans les trois langues, ou bien il y a des différences. Et ces différences nous incitent à nous poser des questions. Par exemple, en sango, le verbe avoir n'existe pas, il n'y a que le verbe être. On est avec une maison, on est avec une aspirine comme on est en français avec une femme. Mais en sango on n'a rien ! Ça donne à réfléchir. De la même façon, en sango, la négation se place en fin de phrase.  On ajoute "pepe". Et "pepe" veut dire que c'est exactement le contraire de ce qui est dit dans la phrase, que ce soit pour annoncer un coup d'État ou la mort de quelqu'un. On commence par dire que la personne est vivante et il faut attendre la fin de la phrase pour comprendre qu'elle n'est plus de ce monde. »

Quelques contenus audiovisuels consacrés à Vassilis Alexakis et à son œuvre :

Livres de Vassilis Alexakis dans le catalogue de la BULAC

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Nos intervenants

Vassilis Alexakis (1943-2021)
Vassilis Alexakis

Vassilis Alexakis naît à Athènes le 25 décembre 1943 et débarque à Paris à 17 ans, sans parler un mot de français. Ce fou de culture, ce garçon curieux de tout, rattrape vite le temps perdu, décide de faire l’École supérieure de journalisme de Lille, regardant d’un œil inquiet la dictature des colonels qui musèle la société grecque et empêche les jeunes créateurs de s’exprimer librement. À Paris, il travaille pour différents journaux, signe dans les pages littéraires du Monde, de La Croix, intervient sur France Culture, puis écrit son premier roman, Le Sandwich, qui paraît en 1974. Vassilis Alexakis était passionnant lorsqu’il expliquait sa façon de travailler bien particulière. Selon les thèmes de ses livres, familiaux, fictionnels, fantaisistes, il choisissait la langue, grecque ou française, qui lui semblait la mieux adaptée au sujet, aux personnages. Ainsi pour son plus beau texte, La Langue maternelle, prix Médicis en 1995, décidait-il d’en commencer la rédaction en grec, pour la retraduire ultérieurement en français. « Du coup, j’écris mes livres deux fois », ;expliquait-il avec gourmandise. Les mots, leurs origines, leurs métamorphoses, voilà ce qui l’intéressait avant tout, comme dans un autre de ses livres, ;Ap. J.-C. (grand prix du roman de l’Académie française 2007) ou dans La Clarinette, son dernier ouvrage, publié en 2015. Dans ce texte formidable, le romancier parlait à la fois de la société grecque en plein marasme, de la mémoire du pays et de sa complicité avec Jean-Marc Roberts, son ami disparu. Vassilis Alexakis était drôle et grinçant, charmeur et pessimiste. Il aimait raconter des anecdotes puis s’arrêtait brusquement pour parler de la mort et la dessiner comme une femme facile. Il n’avait pas trop de deux langues pour inventer ses histoires et célébrer sa passion des mots. [source : Télérama]

Alexandre Asanovic
PICTO intervenant extérieur

Responsable du pôle Collections de la BULAC de 2012 à 2016. Membre du comité de rédaction de la revue Au sud de l’Est.

Clotilde Monteiro
Clotilde Monteiro, responsable de la mission Communication institutionnelle

Responsable de la mission Communication institutionnelle de la BULAC, initiatrice des partenariats avec les Festivals Vo-Vf et Cinéma du réel, et modératrice des rencontres BULAC à Vo-Vf.