Publié : 08/03/2022, mis à jour: 07/02/2024 à 21:55
http://www.bulac.fr/node/2430

Le Centre de recherche sur le monde iranien, avec Maria Szuppe et Bernard Hourcade

À travers cet entretien, Maria Szuppe retrace notamment l'histoire du Centre de recherche sur le monde iranien (CeRMI), une UMR du CNRS, qu'elle dirige depuis janvier 2020. Elle revient sur ses principaux jalons, à partir de la création des études iraniennes en France par Gilbert Lazard, et l'ouverture en 1947 de la bibliothèque d'études iraniennes James-Darmesteter, jusqu'au déménagement de ses collections à la BULAC, en 2011. Le parcours de la chercheuse croise celui de la BULAC, pendant sa période de préfiguration, dans les années 2000, au moment où son laboratoire décide de rejoindre le projet BULAC. Bernard Hourcade, qui dirigeait alors le laboratoire « Monde iranien », dont le CeRMI est l'héritier, rappelle dans la pastille multimédia les raisons qui ont présidé à ce choix. Maria Szuppe illustre pour finir la concrétisation de ce compagnonnage au présent en parlant des projets en cours entre la BULAC et le CeRMI.

aria Szuppe et Bernard Hourcade

Maria Szuppe et Bernard Hourcade, salle de la Réserve de la BULAC. Grégoire Maisonneuve / BULAC

Entretien

 

CM
Clotilde Monteiro
responsable de la
Communication institutionnelle

MS
Maria Szuppe
Enseignante-chercheuse

Aux origines des études iraniennes en France

Panneau de l'exposition Gilbert Lazard, un siècle d'études iraniennes

Exposition Gilbert Lazard, un siècle d'études iraniennes - rez-de-jardin (Maxime Ruscio / BULAC).

CM
Le tout nouveau CeRMI est un laboratoire de recherche qui hérite d’une longue histoire, pouvez-vous en retracer les grandes lignes ?

MSLe Centre de recherche sur le Monde iranien, le CeRMI, est une UMR du CNRS, dont les partenaires universitaires en cotutelle sont l’Inalco, l’université Sorbonne Nouvelle et l’École pratique des hautes études. C’est en effet un laboratoire de recherche à la fois très jeune, car il a été restructuré en 2020, et très ancien, car il est l’héritier direct du laboratoire fondé en 1995 sous le nom de « Monde iranien », et dirigé à l’époque par Bernard Hourcade, géographe, et maintenant directeur de recherches émérite du CNRS. Le CeRMI hérite d’une très longue histoire qui est le reflet de l’histoire des études iraniennes en France. C’est à la fin des années 1940 que Gilbert Lazard, disparu en 2018, alors professeur aux Langues’ O, a commencé avec les iranologues, Émile Benveniste, professeur au collège de France, et Jean de Menasce, professeur à l’EPHE, à structurer l’enseignement des études iraniennes en France.

CMLa bibliothèque s’est-elle constituée dès la création des enseignements ?

MSEn effet, la bibliothèque d’études iraniennes James-Darmesteter est officiellement créée en 1947. « Née sur le manteau de la cheminée de [son] bureau » des Langues O’, rue de Lille, comme le disait souvent Gilbert Lazard, la bibliothèque a commencé à se former à partir de cette époque. Elle s’est ensuite installée à Censier, dans les locaux de la Sorbonne Nouvelle Paris 3, juste après la création de cette université, au début des années 1970. C’est ainsi que la filière des études persanes, dirigée par Gilbert Lazard, a commencé à se constituer adossée à une structure scientifique, l’Institut d’études iraniennes, l’IEI. La bibliothèque s’est alors développée de façon extrêmement dynamique, notamment grâce à des dons réguliers. Puis Charles-Henri de Fouchécour, le directeur suivant, et après lui, Yann Richard, ont poursuivi son développement. Notre laboratoire de recherche a régulièrement apporté son soutien financier à la bibliothèque, de même que la bibliothèque centrale de Paris 3. Et nous avons pu profiter pendant la période des années 1970 aux années 1990 de l’expertise de l’excellente bibliothécaire, Françoise Barrès-Kotobi. Connue de tous les chercheurs et de tous les étudiants, elle était devenue en quelque sorte une institution !

CMDepuis quand êtes-vous directrice du CeRMI et qu’est-ce qui change avec cette restructuration ?

MSJe dirige le laboratoire depuis janvier 2020. J’ai pris la suite de ma collègue linguiste, Pollet Samvelian, qui l’a dirigé pendant dix ans, et avant elle, Philip Huyse avait été directeur de 2005 à 2010, à la suite de Bernard Hourcade. Entre 2005 et 2019, suite aux intégrations successives de trois autres équipes de recherche, le laboratoire avait fonctionné sous le nom de « Mondes iranien et indien ». Nous nous sommes ensuite séparés, avec l’aval du CNRS et de nos tutelles, et sommes redevenus un centre de recherche sur le monde iranien uniquement. Celui-ci s’entend au-delà des strictes frontières de l’Iran actuel, sur un espace qui va de la Méditerranée orientale, jusqu’à l’Asie centrale, l’Afghanistan et les frontières du Pakistan. Nos intérêts scientifiques comprennent toutes les langues et les sociétés d’origine iranienne. Par ailleurs, nous avons redéfini nos priorités de recherche selon cinq axes qui concernent l’écrit et l’épigraphie, les courants intellectuels et religieux, le monde iranien contemporain au travers des sciences sociales, les langues et les littératures de la région, et la linguistique. L’intérêt principal de ce dernier axe réside dans l’étude des langues dites « rares » ou menacées de disparition, telles que le baloutchi ou l’ormuri, par exemple.

Salle de travail de groupe du CeRMI

Salle de travail de groupe du CeRMI à la BULAC, partie Bibliothèque de nuit. Grégoire Maisonneuve / BULAC.

CMLes étudiants en fin de cursus sont-ils nombreux à vouloir s’investir dans la recherche sur cette région et dans ces disciplines ?

MSNous avons actuellement plus d’une quinzaine de doctorants, issus des écoles doctorales de nos trois tutelles. La relève est assurée même s’il est extrêmement difficile pour les jeunes chercheurs de trouver ensuite des débouchés professionnels, malgré notre soutien pour les aider à décrocher des contrats post-doctoraux.

L'Iran et l'Asie centrale comme terrain de recherche

CMVous avez soutenu votre thèse de doctorat en 1991 et obtenu votre habilitation à diriger des recherches en 2011, quelles sont les grandes étapes de votre parcours ?

MSJe suis chercheuse au CNRS depuis bientôt trente ans, avec de courtes pauses, lors d’un détachement de deux ans à l’Institut français d’études sur l’Asie centrale (IFEA) à Tachkent, ou des séjours de recherche invités, notamment à Cambridge, Londres ou Tokyo. J’ai commencé par travailler à Strasbourg dans une équipe CNRS dont les chercheurs étudiaient les mondes iranien et turc, ce qui a constitué pour moi une expérience très enrichissante. Et j’ai ensuite intégré l’équipe « Monde iranien » à Paris au sein de laquelle je suis restée. Je travaille principalement sur l’histoire médiévale et le début de l’époque moderne. Ces dernières années, je me suis plus particulièrement intéressée à la circulation et à la transmission des écrits, des manuscrits, à travers les chaînes de transmission et de transmetteurs que sont les cercles intellectuels, les différents milieux de lecteurs, les érudits locaux et provinciaux.

En étudiant notamment la façon dont étaient utilisées les bibliothèques dans la région entre les XVe et XVIIIe siècles, je suis toujours étonnée de constater que les pratiques de lecture ont peu évolué et que de nombreux points communs demeurent

Maria Szuppe

CMPourquoi avoir opté pour cette région et ce domaine d’étude et de recherche ?

MSJ’ai étudié différentes langues au départ, dont le russe, car je suis polonaise d’origine. Jeune étudiante, j’étais fascinée par ces mondes lointains qui avaient l’air si différents du mien. Le fait de maîtriser le russe a été déterminant et m’a beaucoup aidée dans mes recherches sur l’Asie centrale et sur l’Afghanistan. Pour étudier l’histoire des pays de cette partie orientale du monde iranien, tels que l’Ouzbékistan, le Kazakhstan ou le Tadjikistan, ayant appartenu au bloc soviétique, un grand nombre de ressources documentaires, mais aussi de travaux scientifiques, sont en russe. Et j’ai eu la chance à l’Institut oriental de l’université de Varsovie d’avoir quelques professeurs passionnants qui m’ont guidée et encouragée dans cette voie. Partie en France pour y suivre une maîtrise, j’y suis restée pour poursuivre par un DEA, puis un doctorat. J’ai ensuite passé mon post-doctorat à l’université de Cambridge. Et s’il était à l’époque plutôt banal en Pologne de parler, lire et, parfois, écrire le russe, j’ai pu constater que c’était une compétence moins répandue en France et en Angleterre. C’est devenu un atout dans mon profil de recherche, ce qui m’a permis de passer deux années déterminantes à l’IFEA de Tachkent où j’ai été chercheuse pensionnaire quelques années après mon doctorat. Les liens que j’ai pu tisser durant cette période avec le milieu de la recherche ont perduré tout au long des années. Ils nous ont permis de continuer à mettre en place au sein du CeRMI diverses collaborations avec des chercheurs ouzbeks, par exemple, sur des projets de recherche, comme BIBLIAC.

CML’étude de la circulation et de la transmission des écrits a donc à voir avec les bibliothèques de ces époques ?

MSEn effet, la culture de l’écrit de ces époques ne cesse de me passionner. En étudiant notamment la façon dont étaient utilisées les bibliothèques dans la région entre les XVe et XVIIIe siècles, je suis toujours étonnée de constater que les pratiques de lecture ont peu évolué et que de nombreux points communs demeurent, moins les avancées technologiques bien sûr. Dans mon groupe de recherche, nous nous intéressons plus particulièrement aux traces manuscrites, à tous les indices laissés dans les documents par les lecteurs, que ce soit les annotations présentes dans les marges, les passages soulignés, les petits papiers griffonnés avec des explications insérés entre les pages, etc. Il est étonnant de voir à quel point ces manuscrits sont des objets presque vivants qui nous livrent beaucoup d’informations sur ces lecteurs qui nous ont précédés.

La BULAC, un projet de rassemblement des fonds prometteur pour l’équipe « Monde iranien »...

Vue d'ensemble du Pôle des langues et civilisations

Pôle des langues et civilisations - Vue d'ensemble

CMSi l’on revient à la période de préfiguration du projet BULAC, comment l’équipe « Monde iranien » s’est-elle intégrée au projet BULAC ?

MSC’est un projet qui a été porté par Bernard Hourcade, le directeur d’alors de notre équipe de recherche. Il s’est énormément investi au début des années 2000 dans ce projet. Il a su voir d’emblée tous les atouts que cette nouvelle bibliothèque pourrait représenter pour notre laboratoire. Bernard Hourcade a fait partie de ce collectif d’acteurs qui se sont battus pour le projet BULAC et qui ont vraiment contribué à sa réalisation et à la bonne intégration des équipes de recherche, dans cette dimension « collections-recherche », qui était l’aspect important du projet BULAC. Il a d’ailleurs fait partie des membres du premier conseil scientifique du GIP BULAC.

Collections Iran et Asie centrale, rez-de-jardin de la BULAC. Grégoire Maisonneuve / BULAC.

Collections Iran et Asie centrale, rez-de-jardin de la BULAC. Grégoire Maisonneuve / BULAC.

CMLes chercheurs de l’équipe « Monde iranien » étaient-ils sensibles à ce projet de rassemblement en un endroit unique de tous les fonds iraniens et plus largement de l’ensemble des collections du monde extra-occidental ?

MSEn effet, c’était à leurs yeux l’aspect le plus prometteur du projet BULAC. Mes collègues et moi-même étions sensibilisés à la question du rassemblement des fonds, car nous allions régulièrement par exemple chez nos voisins britanniques. Et leurs bibliothèques universitaires nous faisaient rêver. Que ce soit la bibliothèque de la SOAS à Londres qui regroupait, en un seul lieu, sur plusieurs étages, les collections de tous les domaines des langues orientales, ou celle de l’université de Cambridge où les chercheurs avaient un accès facilité à toutes les collections réparties entre les quatre bâtiments du campus. Donc cette idée de pôle des langues était absolument essentielle pour nous. Nous avions conscience qu’il allait permettre un accès quasi immédiat à la documentation du domaine persan, mais aussi à celle des domaines chinois, arabe, africain, etc. et généraliste. Et pour la plupart de mes collègues, comme pour moi-même, cette perspective a finalement balayé toutes nos hésitations. Nous comprenions que nous n’aurions plus à courir dans tout Paris pour consulter des ouvrages lorsque nous faisions des études dans une perspective comparatiste.

CMComment la perspective du déménagement de votre bibliothèque avait-elle été alors accueillie par votre équipe de recherche ?

MSDans un premier temps, pour les chercheurs, l’annonce du probable déménagement de la bibliothèque James-Darmesteter rue des Grands Moulins a été une mauvaise nouvelle. Nous ne connaissions pas encore l’amplitude horaire de la future BULAC et ignorions alors qu’il y aurait la partie Bibliothèque de nuit, accessible 24 heures sur 24. Nous étions extrêmement attachés à notre bibliothèque, avec sa petite Réserve, qui nous paraissait avoir toujours été à Censier, au 2e étage, puis au 4e étage. Elle faisait partie intégrante de notre laboratoire, au point qu’un certain nombre de chercheurs avaient leur propre double de clé de la salle de lecture et pouvaient venir quand ils le souhaitaient. Nous avions cette possibilité luxueuse d’arriver le matin avant l’heure de son ouverture, si on le souhaitait, pour compulser et choisir les livres dont on aurait besoin pour la journée. Le fonds étant entièrement en accès libre, à l’exception de deux petites pièces de Réserve où n’étaient conservés que les documents très fragiles. Nous étions tous très attachés à cette liberté d’accès.

Un partenariat original entre l'IEI et la BULAC

Maria Szuppe, Bernard Hourcade, Farzaneh Zareie

Maria Szuppe, Bernard Hourcade, Farzaneh Zareie. Grégoire Maisonneuve / BULAC.

CMQuel regard portez-vous aujourd’hui sur ce partenariat original, entre l’IEI et la BULAC, qui a conduit au déménagement en 2011 de votre bibliothèque, ainsi qu’à l’intégration du poste de bibliothécaire de l’IEI dans les murs de la BULAC ?

MSCe partenariat est une réussite, les collections du domaine iranien font partie aujourd’hui des collections de la BULAC les plus consultées, après le fonds chinois. Après le départ à la retraite de Françoise Kotobi nous avons recruté, dans l’hypothèse du déménagement, Farzaneh Zareie, ingénieure d’études au CNRS, notre bibliothécaire actuelle, qui travaille depuis 2011 dans les murs de la BULAC. Farzaneh nous avait rejoints au début des années 2000 pour préparer, avec Marie-Madeleine Bériel, notre documentaliste, l’ensemble des collections en vue de leur déménagement à la BULAC. Ensemble, elles se sont énormément investies, sous la houlette de Francis Richard, alors directeur scientifique de la BULAC, pour établir l’inventaire de ce fonds de près de 30 000 volumes, ce qui était un préalable indispensable à la rédaction de la convention de dépôt avec la BULAC. Ces collections, dont certains titres de revues sont très rares en France, voire même en Europe, sont déposées à la BULAC sous le couvert de cette convention signée entre la BULAC, le CNRS et la Sorbonne Nouvelle. Il a bien sûr fallu faire des choix car l’ensemble des collections de notre bibliothèque ne pouvaient plus être en accès libre comme cela a été le cas dans nos locaux à la Sorbonne Nouvelle. Farzaneh Zareie et Francis Richard ont travaillé en étroite collaboration avec nos chercheurs pour déterminer une répartition pertinente entre les fonds qui seraient conservés dans les magasins de la BULAC et ceux qui seraient proposés en accès libre sur les rayonnages de la salle de lecture.

Une collection exceptionnelle pour l'étude du monde persan. La bibliothèque James-Darmesteter de l'ancien Institut d'études iraniennes, déposée à la BULAC par le CNRS et l'université Sorbonne-Nouvelle, est un ensemble essentiel pour les études persanes en France. Son histoire est étroitement liée avec le développement de la recherche française sur l'Iran. La valorisation conjointe de ce fonds est au cœur des partenariats scientifiques qui lient la BULAC et le Centre de recherche sur le monde iranien (CeRMI, UMR 8041).

CMEt pour vous en tant que chercheuse, que vous a apporté la BULAC depuis son ouverture ?

MSPersonnellement, je me suis mise à fréquenter la BULAC rapidement après son ouverture. Et dès que vous avez l’habitude de venir ici, c’est extraordinaire ! D’autant que la bibliothèque met à la disposition du CeRMI, en tant que laboratoire partenaire et membre du GIP, une salle de travail de groupe, dans la partie Bibliothèque de nuit. Cette salle est aussi bien fréquentée par nous les chercheurs que par nos doctorants et les étudiants de master qui viennent y travailler parfois jusque tard dans la nuit. Ce service est très précieux pour nous car nous pouvons également y organiser nos réunions d’équipe lorsque nous travaillons à plusieurs sur un projet. Je souhaiterais d’ailleurs profiter de cet entretien pour remercier Madame Marie-Lise Tsagouria, qui est une personne extrêmement bienveillante envers les équipes de recherche. En tant que directrice de la BULAC, elle est très à l’écoute, toujours là pour répondre parfois à nos questions et surtout à nos besoins. Je tiens à ajouter que ce partenariat avec la BULAC, nous permet également de déléguer tous les aspects de conservation des documents. Ce service de suivi de conservation assuré par les professionnels de la bibliothèque sur nos collections est absolument essentiel. Il nous aurait été impossible avec les moyens financiers de notre laboratoire de recherche, et sans l’expertise professionnelle requise en interne, de prodiguer les soins que portent à nos collections les bibliothécaires de la BULAC.

EpiPOM, un projet de valorisation « collections et recherche »

Séance de travail à la BULAC sur le fonds Viollet : F. Zareie et M. Massullo

Séance de travail à la BULAC sur le fonds Viollet : F. Zareie et M. Massullo. Grégoire Maisonneuve / BULAC

CMComment s'est structuré EpiPOM, cet appel à projet, porté par le CeRMI et la BULAC, qui a obtenu un financement dans le cadre de CollEx-Persée ?

MSLe projet « Épigraphie du Proche-Orient médiéval » (EpiPOM) fait partie des projets de recherche sélectionnés par CollEx-Persée. Il a été rédigé par ma jeune collègue, Sandra Aube, spécialiste de l’art islamique et de l’architecture dans notre équipe, avec l’appui, côté BULAC, de Benjamin Guichard, le directeur scientifique, et de Farzaneh Zareie (qui est également membre du CeRMI). C’est Martina Massullo, jeune chercheuse post-doc, qui est en résidence scientifique à la BULAC jusqu’à août 2022, qui travaille sur ce projet, épaulée par Sandra Aube. Ces appels à projets financés sont un des moyens les plus féconds et les plus riches de faire travailler la bibliothèque et les laboratoires de recherche ensemble.

CMPouvez-vous nous présenter le fonds sur lequel travaille Martina Massullo dans le cadre de ce projet ?

MSLe projet EpiPOM est centré sur l’étude et la valorisation d’un des fonds du CeRMI, conservé à la BULAC, appelé le « fonds Henri-Viollet ». Il contient des documents de différentes natures, puisqu’il est constitué de carnets de notes et de carnets de croquis, et d’un fonds photographique, avec un ensemble de plaques de verre, qui documentent les voyages de recherche de l’architecte et archéologue Henri Viollet (1880-1955), dans les années 1900-1910, au Proche-Orient, notamment en Syrie, en Irak, en Iran, et en Asie centrale (où il séjourna entre autres à Samarkand et à Boukhara). Cet ensemble documentaire nous renseigne sur les monuments islamiques architecturaux qu’il a vus ou visités.

Archives du fonds Viollet

Archives du fonds Viollet. Grégoire Maisonneuve / BULAC.

CMQue va vous permettre ce financement CollEx-Persée ?

MSAu début des années 2000, notre laboratoire de recherche, sous la direction de Bernard Hourcade, avait entamé un projet de numérisation des plaques de verre, en vue de leur meilleure sauvegarde, dans le cadre de la recherche doctorale menée par Marine Fromanger. Le projet EpiPOM va maintenant permettre de décrire, de numériser et de valoriser la totalité du fonds de cette collection unique après avoir étudié les liens entre les photographies, les carnets de croquis et les carnets de notes réalisés par Henri Viollet. Avant l'été 2022, un colloque international en cours de préparation par Martina Massullo et Sandra Aube, ainsi qu'une exposition organisée par la BULAC, porteront sur le fruit de ces recherches.

Quelques documents remarquables du fonds James-Darmesteter

Reliure laquée à motifs de boutons de roses et de papillons

Reliure laquée d'un Coran qajar copié en 1279H/1862-1863. Collections de la Bibliothèque James-Darmesteter déposées à la BULAC, Ms IEI.1

CMPouvez-vous nous citer un document remarquable selon vous que vous avez découvert au fil de vos recherches ?

MSJe pense spontanément à A catalogue of the Toponyms and Monuments of Timurid Herat, de Terry Allen, ma propre thèse de doctorat ayant été consacrée à cette ville d’Afghanistan à la période médiévale. Le Catalogue est un tapuscrit, donc un document à tirage très limité, reprographié à peu d’exemplaires par l’université de Harvard aux États-Unis en 1981. Je suis presque sûre que cet exemplaire est unique en France. Si je ne l’avais pas trouvé dans le fonds de notre bibliothèque, je pense que je n’aurais pas pu faire ma thèse, ou à tout le moins, pas de la même façon. Ce volume est très précieux car il correspondait à un travail de recherche de terrain effectué dans les années 1970, juste avant l’invasion soviétique d’Afghanistan, en 1979. Ce document, qui date des années 1980, je l’avais très fréquemment compulsé au moment de ma thèse, et je continue à le consulter ici à la BULAC. Les pages qui étaient simplement collées commencent maintenant à se détacher ; il ne peut plus être consulté librement mais uniquement à la Réserve de la BULAC, étant donné sa fragilité. J’espère très fortement qu’il pourra être rapidement numérisé.

Manuscrit en graphie nastaliq, aux pages brunies et mutilées, marqué par le feu, manipulé par deux mains ; le document est posé sur un futon ; on aperçoit au revers du plat de garde un tampon au nom de l'Institut Pasteur.

Manuscrit de la Hamza-nāma issu de la bibliothèque personnelle de James Darmesteter (estampille de l'Institut Pasteur). Collections de la biblitohèque James-Darmesteter déposées à la BULAC, MS.IEI.6.

Grégoire Maisonneuve / BULAC.

CMEt quels sont par ailleurs les fleurons du fonds de la bibliothèque James-Darmesteter ?

MSJ’ai découvert de façon tout à fait inattendue dans le fonds de notre bibliothèque, à la faveur du déménagement, une demi-douzaine de manuscrits persans, qui se trouvaient mélangés aux livres lithographiés. Nous ignorions que nous étions en possession de ces précieux manuscrits. Par ailleurs, nous avons également dans nos collections plusieurs séries de titres de revues assez rares, comme Ariana, publiée en Afghanistan durant les années 1950 et 1960.

Double page richement enluminée à l'or

Double page enluminée d'une version luxueuse d'un Coran de l'époque qajar (1279H/1862-1863). Collections de l'IEI déposées à la BULAC, Ms IEI.1.

CMComment se fait-il que vous ignoriez la présence de ces manuscrits ?

MSLes circonstances d’arrivée à la bibliothèque de cette demi-douzaine de manuscrits ne sont pas documentées. Deux d’entre eux proviennent certainement du fonds personnel de James Darmesteter (1849-1894), professeur au Collègue de France, linguiste et spécialiste des langues iraniennes anciennes, issu d’une famille de libraires et relieurs. Les volumes restants vraisemblablement aussi, mais nous ignorons pour l’instant les circonstances exactes de leur parcours. Parmi ces volumes se trouve un coran de petit format, richement enluminé, datant de la première moitié du XIXe siècle. Cet exemplaire très luxueux avait été réalisé sur commande pour un prince de la dynastie des Qajars. Un autre de ces manuscrits est différemment spectaculaire : ses pages sont noircies ou partiellement brûlées, le texte est parfois peu lisible, et les feuillets extrêmement fragilisés. Le volume contient un texte de littérature médiévale épico-légendaire intitulé Hamza-nâmeh, ou La Geste de Hamza. Ce volume devrait au plus vite être restauré pour assurer sa sauvegarde et sa conservation. Par ailleurs, il reste à élucider les circonstances dans lesquelles il a été endommagé par le feu.

CMPourquoi avez-vous publié dans des mélanges bulgares l’inventaire, co-rédigé avec Francis Richard, de cette demi-douzaine de manuscrits persans ?

MSNous avons rédigé cette description suite à l’invitation qui nous avait été faite par des collègues bulgares de contribuer à un article dans un volume des Mélanges réunis en l’honneur de Stoyanka Kenderova, conservatrice des manuscrits orientaux à la Bibliothèque nationale de Sofia. Outre le fait que ce soit notre collègue et amie, Stoyanka est une excellente chercheuse ottomaniste et arabisante, avec laquelle Francis Richard et moi-même avions eu l’occasion de travailler par le passé à de nombreuses occasions.

Exposition Gilbert Lazard, un siècle d'études iraniennes

Exposition Gilbert Lazard, un siècle d'études iraniennes - rez-de-jardin (Maxime Ruscio / BULAC).

CMPouvez-vous nous parler de l’exposition organisée autour de Gilbert Lazard et son œuvre, qui a représenté un des temps forts de la programmation scientifique et culturelle de la BULAC en 2020 ?

MSEn 2020, nous voulions absolument marquer le centenaire de la naissance de Gilbert Lazard. La journée d’étude initialement prévue avait dû être annulée à cause de la crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19. Fort heureusement, nous avons pu maintenir cette remarquable exposition dont le succès qui se poursuit ne se dément pas : sa vidéo de présentation est désormais relayée sur les sites web de l’Institut français de recherche en Iran et de l’ambassade de France à Téhéran, sous-titrée en persan.

Le rôle de la BULAC dans la valorisation et la circulation des travaux de recherche

CMSelon vous, quel rôle important pourrait jouer à l’avenir la BULAC dans la valorisation et la circulation des travaux de la communauté des chercheurs de votre domaine aréal ?

MSOutre nos participations communes à des appels à projets, la BULAC pourrait aussi contribuer à valoriser nos liens avec le réseau des instituts français à l’étranger (UMIFREs). Pour le CeRMI, ce sont avant tout l’Institut français de recherche en Iran de Téhéran (IFRI), l’Institut français d’études sur l’Asie centrale de Bishkek (IFEAC) et la Délégation archéologique française en Afghanistan de Kaboul (DAFA), mais aussi d’autres. Il serait intéressant, il me semble, d’envisager des possibilités de stages encadrés de catalogage ou d’inventorisation pour des bibliothécaires ou des doctorants de ces régions qui viendraient à Paris et seraient co-accueillis par la BULAC et le CeRMI. De même que les responsables des fonds persan, turc ou arabe de la BULAC pourraient effectuer des séjours professionnels auprès des instituts français et se familiariser avec leurs bibliothèques, qui sont souvent très riches. Il s’agirait bien sûr de trouver au préalable des financements pour de telles missions.

Exposition Gilbert Lazard, un siècle d'études iraniennes

Exposition Gilbert Lazard, un siècle d'études iraniennes - rez-de-jardin (Maxime Ruscio / BULAC).

Dédicace de M. N. Osmanov à Gilbert Lazard

Dédicace de M. N. Osmanov à Gilbert Lazard. Р. М. Алиев, М. Н. Османов, Омар Хайям | R. M. Aliev, M. N. Osmanov, Omar Hajâm. Moskva, Izdatelʹstvo Akademii Nauk SSSR, 1959. Don Gilbert Lazard. Collections du CeRMI déposées à la BULAC, IEIMI PM 432.59.

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