Publié : 27/08/2022, mis à jour: 06/09/2022 à 17:11
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Le chant des dunes

Paris

 

Le RER B surplombe un campement de deux cents âmes environ à la pointe d'un triangle formé par les voies de chemin de fer, la N2 et l'A86...

Grégory Louge-Le chant des dunes-Paysage de thé - 茶景

Paysage de thé - 茶景. Crédits photographiques : Grégory Louge.

Grégory Louge

Paris, 1991

 

Le RER B surplombe un campement de deux cents âmes environ à la pointe d'un triangle formé par les voies de chemin de fer, la N2 et l'A86 ; certaines femmes coiffées de foulards noirs à roses rouges poussent des cadis remplis de sacs plastiques et de ferrailles diverses ; les enfants courent autour d’elles, des hommes, accordéons en bandoulière discutent la clope au bec ; tout ce petit monde avance en direction de cette pointe, vers le cul de sac qui semble marquer un point de non-retour pour cette communauté de nomades ; bientôt j’embarquerai pour l’Extrême-Orient avec pour but final de passer une nuit dans ce lieu où il n’y a rien, où je serai seul, entre ciel et terre, loin des hommes, dans le désert du Kumtagh.

 

北京 La Capitale du Nord

 

À l’aéroport de Beijing, encadré par d’immenses panneaux publicitaires, où se côtoient parfums de luxe, soieries, couvertures de revues du monde entier et hommes d’affaires, un long tapis roulant m’entraîne vers ces échangeurs qui se faufilent comme des dragons à travers des falaises de buildings, d'où l'on perçoit les cris des klaxons des voitures aux vitres teintées, « Time is money! », pour aller se perdre dans le brouillard de la pollution économique d’une Chine tonitruante.

 

黃山 Le Mont Jaune

 

À 1 600 mètres d’altitude, à la lueur d’un quart de lune, je prends ma place sur la masse sombre d’un rocher qui, dans cette heure bleue, est comme une île où seul s’illumine le bout incandescent de ma cigarette, un phare que l’aube naissante vient maintenant doucement éteindre  pour m’inviter à contempler la perfection immémoriale d’une nature en mouvement : s’élevant depuis la vallée, une mer de nuage dont la forme et les couleurs naissent et s’évanouissent au rythme caressant du soleil levant touche le ciel puis, redescend vers la terre en soulignant les calligraphies aériennes, formées par les troncs sinueux des pins parasols, et l’immense douceur qui inonde mon cœur ce 11 septembre 2016 à 19 heures 50 alors que j'écris ces lignes, entre en résonance avec le Cantus Lamentus de Dhafer Youssef que j’écoute, le paysage de thé que je viens de photographier au fond de ma tasse, et cette phrase du peintre Zong Bing : « La peinture ne sera-t-elle pas alors aussi vraie que la nature elle-même » ; où commence le voyage ?

 

临夏 Linxia

 

À peine le temps de claquer la portière que nous roulons à vive allure dans les étroites rues de la ville, slalomant entre les vélos, les motos et les camions, je regarde ce paysage qui défile comme en rêve : des écoliers cartables sur le dos, les yeux pétillants et les sourires comme des rayons de soleil, passent devant des vendeurs de fruits assis sur leurs charrettes tirant sur leur cigarette de grosses bouffées de tabac, pendant qu'un magnétophone, raccordé à un porte-voix, hurle aux oreilles des passants « raisins ! melon ! Pastèque ! », et tandis que sur le trottoir d’en-face, parmi des quartiers de viande suspendus, un boucher affûte son long couteau contre une barre de fer, à la manière d'un violoncelliste promenant son archet sur les cordes de son instrument ; à sa gauche, tout près de lui, quatre hommes penchés sur le carré d'un jeu de go étalé à même le sol, concentrés comme des chirurgiens en pleine greffe du cœur suspendent le temps, quand autour d’eux soudain s’élève un tourbillon de poussière, soulevé par les bottes d’un groupe d’hommes, de toute évidence des Tibétains, marchant fièrement au milieu de la rue, le couteau en bandoulière et le visage noirci par la route ; tous ces habitants, qui apparaissent et disparaissent à la vitre de mon taxi, me renvoient soudain à ma condition d'étranger ; Victor Segalen m’accompagne : « Le divers décroît. Là est le grand danger terrestre. C’est donc contre cette déchéance qu’il faut lutter ».

 

 

鳴沙山 Les Dunes de sable chanteur

 

J’ai un duvet, un paquet de gâteaux et le désert pour moi seul, c’est ce que je suis venu chercher mais pour l’instant, je suis angoissé par ces dunes, « 250 mètres, pour les plus hautes » ! en fait, elles ressemblent à des vagues géantes prêtes à se jeter sur moi ; je voudrais nager pour parcourir les cinq kilomètres qui me séparent de cette oasis au loin ; le désert de Kumtagh, plat à cet endroit, et le demi-clair de lune permettent d’apercevoir sa végétation, elle est comme un rivage qu’il me faut atteindre si je ne veux pas mourir étouffé par le sable qui m’entoure ; il me faut également en éviter les esprits qui ont trouvé refuge dans le cimetière qui me sépare de cette terre ferme, même s’ils me protègent des voleurs, comme me l’a affirmé le chamelier qui nous a plantés là, ma tente et moi, alors que j’avais abandonné l’idée d’une nuit en solitaire et espérais partager ses brochettes d’agneau au cumin et un thé parfumé nous protégeant de la froideur de la nuit, tout en faisant fondre notre pudeur ; respire ! les esprits de ce sanctuaire de sable sont aussi avec toi, pas d’inquiétude, tu ne vas pas être englouti, tu ne vas pas te faire dérober tes gâteaux secs, la beauté qui t’entoure peut changer ton regard, reviens à ton rêve de désert, sois humble comme le sont les dunes face l’immensité du ciel étoilé et alors tu pourras entendre leur chant te révéler cette beauté que les nomades du périph transportent avec eux.

Photo de une - Restitution des ateliers d'écriture

Pour la première fois depuis le lancement en 2016 de ses ateliers d'écriture, la BULAC propose une restitution en ligne de plus d'une trentaine de textes écrits durant ces ateliers. Nés de propositions assorties de contraintes formelles, ces textes sont...