Le retour du lion
Il est né un 1er janvier : c’est le jour de naissance de ceux qui sont nés un jour.

Lion de l'Atlas, Eugène Delacroix (1829). Cleveland Museum of Art (USA), Creative Commons CC0 1.0.
Hafida Le Cloirec-Ait Yahya
Il est né un 1er janvier : c’est le jour de naissance de ceux qui sont nés un jour. De son année de naissance, il ne sait qu’une chose : il est né l’année où il a beaucoup plu.
Quand des recruteurs viennent au village, il a l’âge de s’engager et le discours rôdé de l’administration française lui donne envie. C’est une main glacée agrippée à son cœur sur le chemin du bureau de recrutement qui l’empêchera de partir pour la guerre d’Indochine.
Il aime se promener tôt le matin, juste après la première prière.
C’est un travailleur acharné. Depuis sa plus tendre enfance, il est habitué aux tâches difficiles.
Il est le deuxième de la fratrie mais c’est lui que sa mère a choisi pour soutenir la famille quand son père est mort.
Seul face aux employeurs, il a pu mettre un visage à la mesquinerie humaine.
Ne voulant plus dépendre d’un patron, il a fini par accepter des travaux que seuls ceux qui n’ont rien supportent.
Les épreuves ne l’abattent pas. Il se souvient d’un hiver terrible, si terrible qu’un jour pour rentrer dans leur maison de torchis, il avait dû faire le trajet dans un état de semi-conscience, transportant en alternance les sacs de charbon constituant leur paie et son frère épuisé.
Il a une peur panique des lions. Il avait dû engager cet hiver-là une lutte acharnée contre un lion affamé, que la perspective d’un festin constitué de deux jeunes garçons avait attiré.
Ce même lion, bien que disparu depuis des montagnes de son enfance, le hantera plus tard, bien plus tard, dans son sommeil, l’assaillant toute la nuit pour le laisser pantelant au petit matin. C’était quelques mois avant sa mort.
Le 22 juin 2022