Les autres 68
En 2018, la BULAC s’inscrit dans le calendrier de commémoration du cinquantenaire de Mai 68, choisissant de porter un éclairage sur la dimension internationale de cette année historique à travers une exposition « Les autres 68 en Europe » et une sélection d'ouvrages sur « 1968 dans le monde ». (Re)découvrez « Les autres 68 » et (re)vivez le théâtre des événements politiques et culturels qui se sont joués en Europe de l’Est, en Afrique et en Asie.

Une place pour chacun dans un monde nouveau [affiche], 1968 (Source gallica.bnf.fr / BnF).

Les frontières on s'en fout ! [affiche], 1968 (Source gallica.bnf.fr / BnF).
L’exposition présentée dans les vitrines du rez-de-jardin propose un focus sur l’année 1968 en Europe centrale et du Sud-Est.
Si 1968 est souvent associé dans les esprits, par un raccourci spatio-temporel réducteur, au seul mois de mai et au seul Quartier latin, la vague contestataire a en réalité touché une large partie du monde. Le 68 parisien n’est pour ainsi dire qu’une page du 68 français, qui lui-même n’est qu’un chapitre national d’un roman international.
La BULAC vous offre une lecture plurielle de cette chronique mondiale. Découvrez une sélection de documents issus de son fonds patrimonial, représentatifs de l’ébullition politique, estudiantine et culturelle qui anima la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie, la Grèce, l’Albanie et la Russie.
Perceptions croisées des événements

Minush Jero, traduit de l'albanais par Christiane Montécot, Les taches sombres : Durrës, 1968, Paris, L'Espace d'un instant, 2002, Naves, Impr. du Corrézien. Collections de la BULAC, BIULO GEN.IV.13980.
1968. Minush Jero, professeur de littérature et dramaturge, écrit une pièce intitulée Les taches sombres. La pièce raconte les déboires d'une famille citadine. Les parents sont respectivement enseignante et médecin. Leur fils unique, lycéen, quitte « le droit chemin » de l’école et de la morale communiste : il boit, il est attiré par des copains à tendances « bourgeoises ». Les parents échangent entre eux et avec le chœur qui symbolise la morale de la société communiste. La pièce obéit aux règles du réalisme socialiste mais sa mise en scène fut moderne et osée. Créée en 1969 dans une scène de province par Mihallaq Luarasi et saluée par la critique pour sa modernité et sa qualité esthétique, la pièce est sélectionnée au 4e festival du théâtre à Tirana, en 1970. Jouée le dernier soir du festival, elle rafle tous les prix : meilleur dramaturge, meilleure mise en scène, meilleur acteur principal… ainsi que la plus haute distinction : le drapeau du festival ! De nombreux dignitaires du Parti l’applaudissent ce soir-là. Selon la tradition, le spectacle est rejoué le lendemain pour le grand public et le chef suprême, Enver Hoxha. Catastrophe : celui-ci applaudit les acteurs pour leur jeu mais déclare que Les taches sombres est une œuvre « révisionniste [et qu’elle] incarne le manifeste du libéralisme en Albanie ». Le couperet tombe : la pièce est interdite le soir même, disparaît du répertoire et est censurée. Les acteurs de la troupe sont obligés de critiquer et dénoncer l’auteur et le metteur en scène. Ceux-ci font une « auto-critique » censée les protéger des purges. Alors Minush Jero est seulement envoyé enseigner la littérature dans un lycée rural. Mais en 1973, lui et le metteur en scène sont arrêtés et condamnés à huit ans de prison pour « agitation et propagande contre le parti du pouvoir populaire ».

Adam Mickiewicz, oprac. Józef Kallenbach, Dziady wileńskie [Les aïeux de Vilnius], Kraków, Nakł. Krakowskiej Spółki Wydawniczej, 1929. Collections de la BULAC, BIULO BC.VIII.81.
Dans le sillage de l’insurrection de Budapest, l’Octobre polonais de 1956 suscite beaucoup d’espoirs au sujet de la libéralisation du régime communiste. Pourtant, les réformes annoncées ne sont qu’une illusion. La nouvelle direction n’a aucunement l’intention de les réaliser. En 1968, l’interdiction d’une pièce de théâtre sert de déclencheur à l’expression d’une contestation sociopolitique qui sévit depuis longtemps. En janvier, les autorités communistes interdisent la poursuite des représentations du spectacle Dziady (en français, Les Aïeux) au Théâtre National à Varsovie. La pièce, écrite par le plus grand poète polonais Adam Mickiewicz, en 1823, contient des accents anti-tsaristes et anti-russes. Les autorités considèrent que la mise en scène de Kazimierz Dejmek en fait une pièce « anti-soviétique ». La présentation du 30 janvier, censée être la dernière autorisée, se transforme en une véritable manifestation politique. Le public scande « Nous voulons de la culture sans la censure ! », « Indépendance sans la censure ! », « Nous exigeons d’autres présentations ! ». Environ deux cents étudiants se dirigent ensuite vers le monument de Mickiewicz, situé non loin de l’entrée principale de l’Université de Varsovie. C’est là qu’ont lieu les premières arrestations. Ces événements suscitent, surtout dans les milieux intellectuels et académiques, une vague de protestations.

Rudi Supek (dir.), Étatisme et autogestion : bilan critique du socialisme yougoslave, Paris, Éditions Anthropos, 1973, 78-Chatou, impr. Besson. Collections de la BULAC, BIULO GEN.III.13596.
Rudi Supek, sociologue et enseignant à l’université de Zagreb depuis les années 1950, est un des protagonistes et principaux instigateurs d’un renouveau de la gauche dans la Yougoslavie des années 1960. Dans ce pays, après le schisme entre Tito et Staline, les jeunes philosophes marxistes acquièrent une certaine liberté d’expression et surtout s’émancipent de l’héritage de l’époque « stalinienne ». Les arts et la littérature s’affranchissent des considérations idéologiques, alors que les sciences humaines s’ouvrent à l’étude et à la réflexion critique. Au cours de ces années, l’île de Korcula, dans la mer Adriatique, devient le rendez-vous incontournable pour des jeunes étudiants souhaitant assister à la prise de parole par de marxistes de renom, tels que Marcuse, Habermas ou Bloch, et de théoriciens de la nouvelle gauche, comme Tariq Ali. Praxis est une des revues qui reflète et exprime ce foisonnement intellectuel. Son premier numéro paraît en 1964. Elle réunit plusieurs philosophes de la nouvelle vague de la pensée socialiste, tels que Gajo Petrovic, Predrag Vranicki ou Mihailo Markovic ; Rudi Supek en assume le rôle de directeur entre 1967 et 1973. Parmi les sujets abordés, on compte la critique des réformes inspirées par l’économie du marché ou la critique des affres de la bureaucratisation de la vie politique. Rudi Supek a aussi l’occasion de développer ses points de vue sur les limites des formes d’autogestion existantes.

Библиотека Српске Народне Одбране, Српски студентски покрет револуционарна борба Српства за слободу | Biblioteka Srpske Narodne Odbrane, Srpski studentski pokret revolucionarna borba Srpstva za slobodu [Bibliothèque de la Défense nationale serbe, Le mouvement des étudiants serbes, le combat révolutionnaire des Serbes pour la liberté]. Minhen, Beli Orao, 1968. Collections de la BULAC, BIULO BR.8.82(15).
La revue exposée, Beli Orao (L'aigle blanc), est la tribune de l’association de Défense nationale serbe, Srpska narodna Obrana, fondée à Belgrade en 1908, suite à l’annexion de la Bosnie-Herzégovine à l’empire austro-hongrois. Après la Deuxième Guerre mondiale, les héritiers de cette association, opposés au régime de Tito, s’installent en Allemagne de l'Ouest. Dans ce numéro de leur organe officiel, ils relatent les événements qui se sont déroulés à Belgrade et dans d’autres villes universitaires en Yougoslavie, pendant le mois de juin 1968. Plusieurs slogans martelés par les manifestants sont répertoriés, tels que « Хоћемо посао за све » (« Du travail pour tous »), « Слобода штампе и демонстрација » (« Liberté de presse et de manifestations ») ou encore « À bas la bourgeoisie rouge ».

Türkiye isçi partisi, Türkiye Işçi Partisi'ndeki olayların gerçek yüzü [La vérité derrière les événements au sein du Parti ouvrier de Turquie], Ankara, Güvendi, 1968. Collections de la BULAC, TURCO 8-6820.
Les années 1960 représentent la Belle Époque des mouvements sociaux en Turquie. Suite à un coup d’État militaire en 1960 mené par des jeunes officiers proches du parti kémaliste (CHP) contre le gouvernement de droite conservatrice au pouvoir, une constitution, perçue par la gauche turque comme la plus libérale qu’ait jamais connue le pays, ouvre la voie à l’expression de revendications sociopolitiques. En 1967, le syndicat DISK est fondé afin d’affranchir le mouvement ouvrier de la tutelle bureaucratique du Türk-Is, le syndicat pro-gouvernemental. Un an plus tard, la première occupation d’usine voit le jour à Istanbul, alors qu’en même temps, les universités s’emparent d’une euphorie révolutionnaire, avec des étudiants débattant de l’avenir du marxisme, chantant des poèmes de Nazim Hikmet et manifestant contre l’arrivée de la 6e flotte américaine dans le Bosphore. Ces actions sont orchestrées de manière plus ou moins directe par des membres du Parti ouvrier de Turquie (TIP), fondé en 1961 et dont on peut voir ici le manifeste à propos des événements de 68.

Janusz Szpotańsk, Satyra podziemna : napisane między 1964 a kwietniem 1968 r. [Satire voilée : écrits entre 1964 et avril 1968], 78-Mesnil-le-Roi, Institut littéraire, 1971. Collections de la BULAC, BIULO BR.8.230(9).
À côté du théâtre, la poésie satirique est encore un outil d’opposition aux régimes autoritaires. Ce recueil de poèmes satiriques est publié par la dissidence polonaise à Paris en 1971. Son auteur, Janusz Szpotański, est surtout connu pour avoir créé la figure « Towarzysz Szmaciak » (littéralement, camarade chiffon, mais au sens figuré, Camarade crétin). Il s’agit d’un individu cynique, ennuyant, inculte, stupide, antisémite, qui adhère au parti communiste par opportunisme plutôt que par conviction idéologique. Accusé d’avoir ridiculisé, dans ses poèmes, le dirigeant communiste, Władysław Gomułka, Janusz Szpotański est arrêté et emprisonné en 1967.
Le Printemps de Prague

Textes réunis par Natalya Gorbanevskay, Nous, dissidents : la dissidence en U.R.S.S., Pologne, Allemagne de l’Est, Tchécoslovaquie, Paris, Recherches, cop. 1978. Collections de la BULAC, BIULO GEN.III.21139.
Né en 1926, Ludvik Vaculik est un écrivain et journaliste tchèque. Auteur de samizdats*, il est notamment connu pour le manifeste Les deux mille mots (Dva tisíce slov), dans lequel il fustige le conservatisme du parti communiste tchécoslovaque et appelle ses concitoyens à réclamer plus de liberté. Publié le 27 juin 1968 dans Literární listy (La Gazette littéraire) et dans trois quotidiens nationaux, Mladá fronta, Zemědelské noviny (Le Journal agricole) et Práce (Le Travail), ce texte s’achève en affirmant que « ce printemps, il nous est revenu, comme après la guerre, une grande opportunité. Nous avons de nouveau la possibilité de reprendre en main notre destin commun, portant le nom provisoire de socialisme, et de lui donner une forme qui corresponde mieux à la réputation et au jugement plutôt positif que nous avions autrefois de nous-mêmes. Ce printemps vient de se terminer et il ne reviendra plus. Cet hiver, nous saurons tout. C’est ainsi que finit notre déclaration destinée aux ouvriers, agriculteurs, fonctionnaires, artistes, chercheurs, techniciens et à tous. Elle a été rédigée à l’initiative des chercheurs ». *Le samizdat (самиздат, en russe) désigne un système clandestin de fabrication et de circulation d’écrits dissidents en URSS et dans les pays du bloc de l’Est. Ce mot russe peut se traduire en français par le terme d’autoédition, en opposition au Gosizdat, les « éditions d'État » officielles du régime soviétique.

Alexandre Dubcek, préface de Michel Tatu, Du printemps à l'hiver de Prague, Paris, Fayard, impr. 1969, cop. 1970. Collections de la BULAC, BIULO GEN.III.8301.
En avril 1968, Dubček prononce un discours à la conférence municipale du Parti communiste tchécoslovaque (PCT) de la ville de Prague. Esquissant un premier bilan de ce qui a été acquis suite à l’avènement d'une nouvelle ère, entamée par l’arrivée au pouvoir des représentants de l’aile libérale et réformatrice du parti communiste tchécoslovaque, il souligne qu’ « en contraste avec le passé, le processus de démocratisation fait surgir aujourd’hui devant les yeux de nos citoyens un large éventail des besoins et des intérêts humains les plus divers ». En même temps, tout en exprimant ses remerciements aux communistes praguois « qui ont un mérite particulier dans le processus de renaissance d’après janvier », il tient à les avertir qu’il y a aussi « des pièges, des dangers qui, dans certaines circonstances, mettent un frein au développement ». Ses paroles doivent, hélas, être prophétiques car, quelque temps plus tard, l’éclosion du Printemps de Prague se voit étouffer par l’invasion du pays par les troupes de certains pays du pacte de Varsovie.

Michel Tatu, L’hérésie impossible : chronique du drame tchécoslovaque, Paris B. Grasset, DL 1968. Collections de la BULAC, BIULO GEN.III.7820.
La nomination d’Alexandre Dubček au poste de chef du comité central du Parti Communiste Tchécoslovaque ouvre la voie aux réformes. Le mouvement de démocratisation gagne l’ensemble de la société. L’année 1968 voit se restaurer les libertés d’expression, de création artistique ou encore de la vie associative. La censure est abolie et une des revues phares de la dissidence, Literarni Noviny, arrêtée en 1967, circule de nouveau dès l'avènement au pouvoir de Dubček.

Isabelle Vichniac, L’ordre règne à Prague, Paris, Fayard, 1968. Collections de la BULAC, BIULO GEN.III.93864.
Le 8 septembre 1831, le général russe Ivan Paskiévitch met fin à l’insurrection polonaise par un bain de sang. Commentant l’événement, le maréchal Sébastiani, ministre français des Affaires étrangères, déclare à la Chambre des députés que « la tranquillité régnait à Varsovie ». Le journal satirique La Caricature publie alors une lithographie de Grandville représentant un soldat russe entouré de cadavres, avec cette légende : « L’ordre règne à Varsovie ». L’ordre qui règne à Prague suite à l’invasion soviétique, porte le nom de « normalisation ». Isabelle Vichniac, l’auteur de l’ouvrage exposé ici, qui a vu arriver les tanks soviétiques en Tchécoslovaquie, nous retrace dans son livre les réactions des citoyens de Prague face à ces événements : « Dans la nuit de jeudi à vendredi 23 août, Radio-Prague libre lance un appel à la loyauté de la police tchécoslovaque. (…) Un tour dans Prague le matin suffit à me convaincre que l’appel a été entendu et que les forces de police demeurées loyales sont appuyées par toute la population, unie aussi bien dans le désir de protéger les personnalités menacées que dans celui de contrecarrer l’action des agents russes. "Citoyen, n’oublie pas que le compromis est ton pire ennemi." C’est la première inscription murale qui me saute aux yeux. Puis d’autres : "Esclaves vous-mêmes, vous êtes venus nous réduire en esclavage", "On ne met pas en prison tout un peuple", "On ne construit pas le socialisme avec des chars d’occupation", "Tass surpasse Goebbels." ». Les dessins sont tout aussi significatifs : l’un d’eux représente un soldat russe dans un tank, avec cette légende : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous, sinon je tire ».
Prague envahie

Pierre Naudin, Zatopek : le terrassier de Prague, Paris, le Légendaire, 1972. Collections de la BULAC, BIULO GEN.III.93862.
C’est au début de la guerre froide, entre les Jeux Olympiques de Londres (1948) et les championnats d’Europe de Berne (1954), que le coureur de fond Emil Zatopek entre au Panthéon des personnalités sportives hors du commun. S’illustrant aux Jeux d’Helsinki (1952), le coureur tchécoslovaque s’impose progressivement comme l’une des plus grandes figures de l’athlétisme. Son succès instrumentalisé par le parti au pouvoir lui permet de bénéficier de conditions de vie relativement privilégiées, dans un régime caractérisé par l’austérité qui fait régner la terreur totalitaire. En ce début des années 1950, Emil Zatopek devient le porte-parole sportif du régime de démocratie populaire instauré en Tchécoslovaquie. Son rôle est celui d’un athlète d’État, dont les sorties internationales sont contrôlées et les mots surveillés. L’homme apparaît alors totalement soumis au régime. Au moment des événements du Printemps de Prague, sa prise de position en faveur du réformateur Alexander Dubček marque un engagement politique à la fois fort et inédit de la part de l’ex-champion. En ce mois d’août 1968, tandis que la répression militaire des chars soviétiques bat son plein dans les rues de Prague, Emil Zatopek demande l’éviction de la délégation de l’URSS des prochains Jeux de Mexico.

Наталья Горбаневская, Полдень : дело о демонстрации 25 августа 1968 года на Красной Площади | Poldenʹ : delo o demonstracii 25 avgusta 1968 goda na Krasnoj Ploščadi [Midi : la démonstration du 25 août 1968 sur la Place Rouge]. Frankfurt, Possev, cop. 1970. Collections de la BULAC, BIULO PB.IV.3962.
Née en 1936 à Moscou, Natalia Gorbanevskaya est une poétesse russe, figure emblématique de la dissidence dans les années 1960 et 1970. Parmi ses actions d’opposition, se distinguent la création de la revue clandestine Chronique des événements en cours, qui rend compte des arrestations et condamnations d‘opposants, et sa participation à la manifestation de sept dissidents le 25 août 1968 sur la place Rouge pour dénoncer l’invasion de la Tchécoslovaquie par le Pacte de Varsovie. Parmi les slogans scandés par les manifestants, on trouve aussi : « За вашу и нашу свободу ! » (« Pour votre liberté et la nôtre ! »). Arrêtée après la manifestation, Natalia Gorbanevskaya est condamnée à l’internement dans un hôpital psychiatrique spécial à Kazan ; elle est libérée deux ans plus tard à la suite d’une intense campagne de soutien.

Choix de textes, introduction et notes de Jiří Péliká, traduit du tchèque par Helena Baudesson, Milena Braud et François Olivier, Ici Prague ; l'opposition intérieure parle, Paris, Éditions du Seuil, 1973. Collections de la BULAC, BIULO GEN.III.11607.
Militant du Parti communiste tchécoslovaque depuis 1939, Jiří Pélikán préside l’Union internationale des étudiants et devient journaliste, avant de diriger la radio et la télévision d’État. Après l’invasion soviétique du 21 août 1968, il organise des débats télévisés en direct, au cours desquels l’Union soviétique est durement critiquée. Dans l’ouvrage intitulé Ici Prague, réunissant des textes rédigés par des représentants de l’opposition socialiste critique du régime, Jiří Pélikán donne la parole entre autres, à Karel Bartošek, un historien, défenseur des droits humains. Cet extrait, issu des cours d’un séminaire d’histoire à l’Université Charles à Prague en juin 1969, concerne la nécessité d’une nouvelle gauche en Tchécoslovaquie, au lendemain de l’invasion d'août 68. Ses propos reflètent bien l’état d’esprit d’une partie de la gauche tchécoslovaque à cette époque, confrontée à la question existentielle : que faire ? D’après le théoricien marxiste, une révision socialiste anti-bureaucratique, apparaît comme une urgence absolue. Dans son analyse, il envisage par ailleurs la crise tchécoslovaque comme partie de la crise du socialisme mondial, et lie la révolution tchécoslovaque à celle des autres nations opprimées. De cette conscience naît une nouvelle conception de l’internationalisme, étrangère au nationalisme primitif anti-russe, éprouvé au sein d’une partie de la population.

Écrits à Prague sous la censure : août 1968 - juin 1969, extraits de Reportér et Politika, Paris, Études et documentation internationales, 1973 - 94-Villeneuve-Saint-Georges, Union typographique. Collections de la BULAC, BIULO GEN.III.12122.
Dans un article publié dans le journal tchécoslovaque Reportér, les événements de mai 68 en France sont perçus à travers le prisme des révolutions de 1848 et du rôle contre-révolutionnaire des syndicats et du parti communiste français. Ces derniers sont préoccupés par une éventuelle perte de contrôle sur le mouvement estudiantin et ouvrier.
Résistance grecque

Denis Langlois, Panagoulis, le sang de la Grèce, Paris, François Maspero, 1969. Collections de la BULAC, BIULO GEN.III.64051.
En août 1968, Alexandros Panagoulis, opposant au régime fasciste des colonels, échoue dans sa tentative d’assassiner le dictateur Papadopoulos. Emprisonné, torturé, son procès est largement couvert par les médias européens de l’époque. Dans cet extrait, Liapis, un des principaux accusateurs, établit à travers son approche anticommuniste et complotiste, des liens entre les mois de Mai 68 en France, l’invasion soviétique à Prague et la situation sociopolitique en Grèce. « Ce qu’il a compris aux événements de Tchécoslovaquie, c’est qu’il faut assimiler les chars soviétiques à l’agression idéologique dont est victime en permanence la Grèce. Pour les barricades de mai à Paris, son interprétation est que les communistes soviétiques et pro-chinois se sont ligués pour renverser le général de Gaulle. "Si l’on n’y prend garde dès maintenant, c’est ce qui arrivera demain à la Grèce." Ne cherchez pas à lui parler de trotskysme, de castrisme ou d’autogestion. Pour lui, c’est le seul et même visage hideux du spectre communiste. "Je connais les communistes et leurs méthodes, répond-il. Et ce que je puis vous dire, c’est que nous sommes en face de communistes. "Résistance grecque" n’avait pas pour but, comme le prétendent les accusés, de renverser seulement le gouvernement actuel, mais bien notre régime social et toutes nos institutions. N’est-ce pas ce que recherchent depuis toujours les communistes ?" Il s’arrête un instant pour juger de l’effet produit par sa formule, remue la tête pour dégager son cou de sa cravate trop serrée et poursuit : "Ils ne sont pas seuls. Derrière eux il y a tous ces messieurs d’Europe : étrangers, émigrés, organisations internationales, qui, par leur propagande ont armé une main criminelle contre le Premier ministre." ».

67-74 αντιφασιστικά : αφιέρωμα στην αντιστασιακή λογοτεχνία και στο Πολυτεχνείο | Kōsta Valeta, 67-74 antifasistika : (afiérōma stīn antistasiakī̀ logotechnía kai sto Polytechneío) [67-74 écrits antifascistes : recueil de textes littéraires consacrés aux opposants à la dictature des colonels et au mouvement de l’’École Polytechnique]. Athī́na, Ekdoseis "Grammī", 1974. Collections de la BULAC, BIULO GRE.III.1466.
Le 21 avril 1967, le coup d’État des colonels plonge la Grèce dans sept ans de dictature militaire, mettant fin à un mouvement de renaissance culturelle amorcé pendant la période précédente. Le régime autoritaire et totalitaire installé organise une persécution systématique de tous les citoyens aux convictions socialistes ou soupçonnés de sympathie envers le parti communiste. La liste de tortures, de déportations et d’arrestations est extrêmement longue. Des groupes de résistance se forment autant à l’étranger qu’en Grèce, alors que des événements publics tels que les obsèques de Georgios Papandréou en 1968, ou de Georgios Seferis trois ans plus tard, offrent aux citoyens républicains l’occasion d’exprimer leur opposition au régime. En novembre 1973, des centaines d’étudiants occupent l’École Polytechnique à Athènes. Ils y installent une radio émettant clandestinement et essaient de mobiliser la population contre la junte militaire. Les mots d’ordre sont, entre autres, « Pain, éducation, liberté », « Mort au fascisme », « Otan dehors », alors que l’appel suivant est adressé : « Ici l’École Polytechnique ! Citoyens de Grèce, l’École Polytechnique est le porte-drapeau de notre combat, de votre combat, de notre combat commun contre la dictature et pour la démocratie. » La nuit du 17 novembre, la loi martiale est déclarée et le mouvement est réprimé dans le sang. Cet ouvrage collectif réunit des textes d’écrivains en hommage aux victimes de ce mouvement de contestation sociopolitique.

Traduits du grec par Laurence d'Alauzier, Marilia Averoff, Lorand Gaspar,… [et al], Voix grecques : poèmes, récits, essais de vingt-sept écrivains d'opposition, [Paris], Gallimard, 1973. Collections de la BULAC, BIULO GEN.III.12013.
L’étudiant grec Kostas Georgakis, évoqué dans ce poème de Takis Kufopoulos, s’immole en 1971 à Gênes, en signe de protestation contre la dictature des colonels en Grèce. Désigné comme Tchécoslovaque par le poète, son acte fait écho à l’immolation de l’étudiant Jan Palach sur la place Venceslas de Prague en janvier 1969, en guise de protestation contre l’invasion et occupation de son pays par les armées d’États membres du Pacte de Varsovie.
Le Printemps polonais de 1968

Zygmunta Baumana, Wydarzenia marcowe 1968 [Les événements de mars 1968], Paryż, 1969. Collections de la BULAC, BIULO POL.III.1277.
Sur fond de Guerre des Six Jours opposant Israël à la Ligue arabe, formée par l’Égypte, la Jordanie, la Syrie et l’Irak, le gouvernement polonais dénonce la politique de l’État hébreu et rompt avec lui ses relations diplomatiques. Les commentaires antisionistes prononcés par des membres du parti au pouvoir glissent progressivement vers des discours antisémites, entraînant une véritable persécution à l’égard des citoyens polonais juifs. Le mouvement étudiant réagit et organise un meeting pendant lequel s’affichent ses causes : la liberté d’association, la liberté d’opinion, l’arrêt de la censure et la protection des droits humains. La réponse du pouvoir ne se fait pas attendre : six départements de l’Université de Varsovie sont fermés, les cours sont arrêtés jusqu’au 22 mars et une campagne de conscription pour l’armée est ouverte. En même temps, des étudiants et professeurs sont éloignés du parti ou démis de leurs fonctions. Zygmunt Bauman, auteur de cet ouvrage, est une des victimes de la campagne antisémite orchestrée par le régime polonais en mars 1968. Il obtient sa maîtrise de philosophie en 1954 et devient professeur à l’université de Varsovie, où il enseigne la philosophie et la sociologie. Évincé du Parti communiste polonais et de l’université en 1968 sous prétexte qu’il a corrompu la jeunesse polonaise, il s’exile en Israël avant de rejoindre l’université de Leeds en 1971.

Karol Modzelewski, Jacek Kuron, Lettre ouverte au parti ouvrier polonais, Paris, François Maspéro, 1969. Collections de la BULAC, BULAC BR 8 1132.
Karol Modzelewski et Jacek Kuron représentent deux figures emblématiques de la dissidence polonaise. En 1964, ils rédigent une « Lettre ouverte au Parti », critiquant la bureaucratisation et le caractère de classe du régime au pouvoir. À sa place, ils proposaient une « démocratie ouvrière ». Les travailleurs décideraient collectivement de la politique de planification. Cet ouvrage leur valut trois ans de prison. Quand ils en sortent, la Pologne fait face à une agitation universitaire et ouvrière, alors qu’au loin souffle le vent prometteur du Printemps de Prague. Considérés comme des leaders spirituels du mouvement de contestation, ils sont de nouveau emprisonnés.

Leopold Trepper, Le Grand jeu, Paris, A. Michel, 1975, 27-Mesnil-sur-l'Estrée, impr. Firmin-Didot. Collections de la BULAC, BIULO GEN.III.14795.
Léopold Trepper reste d’abord dans l’Histoire en tant que chef de l’Orchestre rouge, l’un des réseaux de renseignement les plus importants de la Seconde Guerre mondiale, qui a contribué de manière décisive à la victoire des alliés. C’est dans sa Pologne natale que Léopold Trepper s’initie au communisme, au contact du prolétariat de la ville industrielle de Dombrova, dont il partage les luttes et constate l’ampleur de l’exploitation. Parti en Palestine, il est confronté à une nouvelle forme d’exploitation : le colonialisme. Arrêté, expulsé par les autorités anglaises, il arrive en France. Au milieu des Juifs immigrés, chassés par les pogroms tsaristes et le nazisme, il est désigné par le parti communiste français pour aller parfaire à Moscou sa formation doctrinale. Il entre dans les services de renseignement de l’Armée rouge avant d’organiser en Belgique et en France un réseau redoutable qui est à l’écoute de la machine de guerre allemande. En mars 1968, il est victime de la campagne antisémite, comme on peut le lire dans ses mémoires.






Sélection bibliographique « Les autres 68 dans le monde »
Sous les pavés, les pages ! La BULAC vous propose une sélection de livres disponibles au prêt sur le thème de 68 à travers le monde : Mai 68 à Dakar, guerre au Biafra, révolution culturelle en Chine, Printemps de Prague, Mars polonais, offensive du Tết, révolution du 17 juillet en Irak, résistance grecque à la dictature des Colonels...

Cuộc tn̂̉g tiến công và nổi dậy Mậu Thân - 1968
Czechoslovakia, 1968-1969

Biafra, la déchirure
"Jsme s vámi, budte s námi!"
1968 год | 1968 god
「文化大革命」十年史 | "Wen hua da ge ming" shi nian shi

'67-'74 antifasistika
Československo roku 1968

Révolution de velours en Tchécoslovaquie, révolution de décembre en Roumanie, mouvement de Solidarność en Pologne, question du Kosovo, conflit au Nagorny-Karabakh... 30 ans après la chute du mur de Berlin, revivez le théâtre des événements qui se sont déroulés dans l’Est...
Nos intervenants

Chargé des collections du domaine grec de la BULAC depuis 2017, chef de l'équipe EBCO (Europe balkanique, centrale et orientale) de 2017 à 2020.
Docteur en histoire, qualifié aux fonctions de maître de conférences en histoire moderne et contemporaine et en études grecques, Nicolas Pitsos est chargé de cours d'histoire à l'Institut catholique de Paris (ICP) et à l'Institut catholique d'études supérieures (ICES) où il enseigne l'histoire de l'Europe du Sud-Est. Nicolas Pitsos est chercheur associé au Centre de recherches Europes-Eurasie (CREE, Inalco) et au Centre d'histoire culturelle des sociétés contemporaines (CHCSC, université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines). Spécialisé dans l'histoire de la presse, il est membre du réseau Transfopress.