Mes mains sont toute ma fortune !
Elles sont là, devant moi. Mes mains, je les observe. Elles sont charnues et pleines de force. Mes doigts écartés se font face sans se toucher, légèrement repliés.

Crédits photographiques : Évelyne Noygues.
Évelyne Noygues
Elles sont là, devant moi. Mes mains, je les observe. Elles sont charnues et pleines de force. Mes doigts écartés se font face sans se toucher, légèrement repliés. Je distingue plusieurs lignes qui parcourent leurs paumes. Quelles significations ont-elles ? N'est-ce pas dans la main gauche que se croisent la ligne de vie et la ligne de chance ? Et dans la main droite ? Tout compte fait, je ne les connais pas vraiment ! Je me souviens cependant de tout ce qu’elles ont fait pour moi. Pour mon succès. Ma notoriété. Pour moi ce sont des mains en or. Je leur dois ma carrière, mon foyer et l’éducation de mes enfants
Je me rappelle le jour où la foule a scandé mon nom, applaudi à tout rompre à l'annonce de ma victoire par les hauts parleurs. Les gens ont levé les bras au ciel et entamé une immense ola. J’étais au centre du spectacle, vedette et spectateur de ce moment inoubliable. Alors j’ai levé les mains pour les saluer, pour saluer tous ceux qui m’acclamaient. À chacun de mes gestes, les cris de la foule redoublaient. J’ai regardé mes mains et balayé des yeux la foule debout dans les gradins. J’ai croisé le regard de ceux qui m’entouraient sur le podium dressé au milieu de l’enceinte. Le président s’est dirigé vers moi, accompagné des officiels et des sponsors. Je me suis approché de la tribune centrale où trônait la coupe. Je la connaissais bien pour l’avoir vue souvent enfant à la une des journaux du kiosque à l’angle de ma rue. Mes mains étaient alors petites et encore frêles. Elles me servaient à jouer aux billes, à tirer les couettes des filles de ma classe ou à me battre avec les garçons qui boudaient mon amitié. L’un d’entre eux, je ne sais plus pourquoi, m’avait surnommé « le manchot »… peut-être parce que j’aimais marcher les mains croisées dans le dos. Je m’imaginais offrir ainsi moins de prise au vent et pouvoir courir plus vite.
Cette coupe dont j’avais si souvent rêvé allait enfin être à moi ! Mes mains, elles qui m’avaient offert cette victoire, allaient pouvoir l'empoigner. Quand, soudain, je les ai vues posées immobiles à côté de la coupe, sur le tapis rouge de velours. Des mains charnues et puissantes, coulées dans un bronze doré. Je les ai saisies d'une seule main et les ai brandies vers le public. Ce trophée du Grand Chelem, un des plus populaires de la planète.
Mes mains sont toutes ma fortune !
Juin 2022