Triora
Et pourtant tu n’iras jamais en ce lieu, et moi non plus jamais plus.

Aurora Borealis, Étienne Léopold Trouvelot. PICRYL public domain image (Marque du Domaine Public 1.0)
Florian Targa
Et pourtant tu n’iras jamais en ce lieu, et moi non plus jamais plus. Tu ne goûteras pas aux gris pierre de ses ruelles, tu ne pousseras pas la porte rouillée de la maison, voûtée et arc-boutée, toujours ouverte pourtant. L’odeur troglodyte de la pierre noire qui s’effrite là où on habite – elle non plus. Tu n’hurleras pas à la Madone dressée sous la roche, lavée par les années à veiller sur une place morte. Tu ne connaîtras pas la peur en ces rues sombres la nuit le jour et ces lieux où j’aurais préféré ne pas aller, mémoire d’un village qui a oublié ses bûchers. L’ardoise de la montagne au réveil, son vert mordant d’humidité qui surgit des nuages et bientôt s’enfuit : lui non plus tu ne le connaîtras pas, et moi non plus jamais plus. Rosario qui s’agite de table en table, la vieille au regard vissé de creuser le vide, les jeunes coqs qui freluchent. Tout ça tu ne le verras pas, et l’empreinte des fleurs sauvages sur les sens elle non plus tu ne la verras pas, et tu ne verras pas le bruit sourd des eaux glacées qui crient claquent et cristalinent en cascade, vasque après vasque. Tu ne verras pas la mémoire du corps froid vivifié par le vin rosalin. Et ce pain qu’il ramenait, trop dur sous la dent, silhouette qui appelle à la fenêtre : tu n’y verras pas ce que j’y ai vu. Nous n’y verrons plus rien. Juste l’amertume en niveaux de gris – et entre les lignes la lumière que je n’ai plus su plus voulu voir.