Publié : 09/07/2022, mis à jour: 28/07/2022 à 14:51
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Vers Shimla, dans la nuit

Sept heures, on avait dit sept heures.

 

Il s’agit de faire rentrer dans ce sac déjà plein à craquer les dernières affaires dispersées çà et là.

Yamini-Vers Shimla

Crédits photographiques : Yamini.

Yamini

Sept heures, on avait dit sept heures.

 

Il s’agit de faire rentrer dans ce sac déjà plein à craquer les dernières affaires dispersées çà et là. Tes produits dans la salle de bains, ta serviette qui n’a pas eu le temps de sécher. Vérifier et inspecter ta chambre une dernière fois. Le cadenas ; ah oui, le cadenas et la clef. Il faut fermer
ta chambre ou pas ? Et sous le lit, tu as vérifié sous le lit ?
Dévaler les escaliers.
Namaste*
Oui tu es pressée. Le chauffeur est arrivé.
— Une minute bhai, une minute.
L’heure de ta leçon d’hindi dans les embouteillages.
— Où allez-vous, Madame ?
— À la station de bus, Kashmiri Gate.
— Et sinon, vous parlez un peu l’hindi ?
— Un peu...
Assez pour t’occuper en regardant les vélos vous dépasser, dans la cacophonie des klaxons des autres chauffeurs prêts à vous doubler si seulement ils le pouvaient.

 

Huit heures.

 

La gare est bondée, le préposé du comptoir de la Himachal Bus Corporation lève les yeux et t’indique en pointant du doigt : « Plate-forme 21, en bas, à la zone de départ. »
L’idée est de te faire une petite place sur un banc ; là, très bien avec cette famille. La grand-mère est emmitouflée dans son châle, le père arrive les mains pleines de petits gobelets en carton remplis de thé fumant. Les enfants sont déjà plus que fatigués. L’odeur du gasoil se mélange à celle des samoussas et ce vendeur qui tient à te montrer la pile de livres qu’il transporte avec agilité dans les méandres de la gare. Va pour Le dieu des petits riens* contre deux cents roupies.

 

Coups de sifflet stridents, le contrôleur agite en même temps la sacoche qui lui sert à vendre les billets.
— Shimla, Shimla, Shimla ; Shimla, Ma’am ?
— Shimla, Sir.
  Venez, montez !
Tu choisis la place numéro 4, la plus près du chauffeur pour éviter toutes situations malencontreuses, rempart potentiel envers une nuit risquant d’être mouvementée. Ligne droite à travers les plaines du Punjab. Tu distingues quelques maisons dans la pénombre. Zigzags sur la route, pour s’assurer que les freins fonctionnent ? Un dhaba*, une pause dîner et la pause-pipi réglementaire.

La route continue. Les arbres se mettent à danser. Sommeil à poings fermés. Un virage t’a réveillée, le châle ne suffit plus à te réchauffer. Succession d’arbres, forêt profonde, endroits inhabités.
Pas de tunnel, comme sur la ligne des trains rapides, avec un gardien agitant sa lanterne pour chasser un éventuel léopard. Juste la danse lente et lancinante des ombres. Les autres passagers dorment-ils ? Tu en entends un qui tousse et qui renâcle. Un autre respire trop fort dans la profondeur de cette nuit qui vous transporte, ailleurs.

Le jour peine à se lever. Ta gare d’arrivée est déserte, les passagers sont fatigués de cette course effrénée et sans fin dans la forêt, en direction des montagnes. Le chai-wala* s’active :
- Chai, chai, chai.
- Un chai, Sir ?
Vite ! un lit pour terminer ta nuit dans l’atmosphère plus fraîche de cette station climatique au style colonial britannique réputée pour ses histoires de fantômes. The Shimla Ghost Stories*...

 

*
. Namaste : Bonjour, salutations
. Le Dieu des petits riens : roman de l’écrivaine indienne, Arundhati Roy
. Dhaba : cantine populaire
. Chai-wala : vendeur de thé
. The Shimla Ghost Stories : histoires populaires racontées au sujet de lieux supposément hantés à Shimla.

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