VIE
Plus de sommeil depuis si longtemps, surélevée grâce à mes cinq oreillers, je happe l’air, goulée après goulée, « du lit au lit » comme chante le grand Jacques…

Crédits photographiques : Agnès Myara.
Agnès Myara
Plus de sommeil depuis si longtemps, surélevée grâce à mes cinq oreillers, je happe l’air, goulée après goulée, « du lit au lit » comme chante le grand Jacques… Mon mari est loin d’ici… je suis seule depuis bien longtemps au domicile, dit conjugal.
La maladie soude les couples à tout jamais ou les fait éclater… le mien est en train d’exploser… comme ma vie.
Une heure du matin, sonnerie stridente du téléphone, je tends le bras… Tout est près de mon lit, petit monde minuscule et rétréci, à portée de main. À l’autre bout du fil, une voix très douce, posée et chaleureuse prononce lentement ces mots tant attendus :
« Ça y est, on a un cœur pour vous, il faut venir vite ! »
Sirène dans la nuit… incrédule et fascinée, ma vie défile, à travers la petite fenêtre de l’ambulance. La lumière bleue stroboscopique apparaît et disparaît telle une lanterne magique.
Les grands carreaux blancs du plafond défilent à toute vitesse à côté des néons, c’est sûr, quelqu’un doit préparer un marathon pour courir si vite en poussant mon brancard, je traverse les couloirs de l’hôpital à la vitesse de la lumière.
La vie et la mort font la course, qui va gagner ?
Arrêt. Silence.
Une petite chambre de transition. L’infirmière arrive tel un vampire qui vient prélever une vingtaine de flacons : « Dernière vérification, il faut confirmer le cross match, espérons que ce soit le bon, allez tout va bien se passer. L’avion vient de décoller pour aller chercher le cœur. »
Nue comme au premier jour de vie, salle de bains, il faut être lavée et rasée. Je n’ai plus de force, l’aide-soignante m’installe un siège dans la douche et de la racine des cheveux aux petits doigts de pieds, elle m’enduit de bétadine - odeur âcre - me voici en mode orangé.
Blancheur crue du scialytique, la pièce est glaciale. Je tremble de froid… mais aussi devant l’inconnu. Silence tendu … re-bétadine sur mon thorax. Des masques s’agitent lentement autour de moi, ballet vert et blanc, je sens l’intensité de chaque geste, les yeux me sourient mais la concentration est maximale, un drap bleu me réchauffe doucement.
Je regarde l’anesthésiste — je vous fais confiance les yeux fermés… — ça tombe bien me répond-il en me serrant doucement la main, il va falloir les fermer !
Lumières floues, bips et alarmes à n’en plus finir, mes idées ne sont pas très claires. Étagères de pousse-seringues empilées qui clignotent comme un arbre de Noël, fils des perfusions et cathéters suspendues en guirlandes.
Je n’ai plus qu’un seul tout petit oreiller, mes ongles sont roses, je respire sans problème, je viens de naître, je viens de renaître…
MERCI à toi qui me confies ton cœur, cadeau infini de la vie !
Les droits d’auteurs de ce texte ont été cédés à ADICARE.